Hollywood a toujours fait feu de tout bois. Habitué aux yes men capables de mettre leur talent au service de gros budget, le système est suffisamment intelligent pour aller chercher ceux que l’Europe a la prétention de qualifier d’auteurs : des cinéastes dotés d’une esthétique qui leur est propre et dont l’alliance au blockbuster pourra faire des étincelles.


Le pari est presque entièrement gagné pour De Palma sur Mission : Impossible, premier volet d’une franchise appelée à peser dans les étés du box-office. Si le réalisateur n’est pas aussi ostentatoire que dans les films dont il a l’entier contrôle, et que Cruise à la production n’oublie jamais de donner ses directives au cadreur pour sortir grandi (dans tous les sens du terme) du film, cet opus porte clairement la marque du cinéaste, qui, bien souvent, arrive à communiquer son plaisir au spectateur.


Les deux premières séquences (le prologue et la première mission hécatombe) jouent ainsi du thème si cher à De Palma qu’est la mise en abyme : partout, des moniteurs (un alibi en or pour ses split-screens), des décors, des masques et des rôles, des récits parallèles et un découpage outrancier de l’action pour nous en donner les diverses facettes. Le monde de l’espionnage est une aubaine pour le formaliste, qui décompose et commence par une tabula rasa qui lui laisse ensuite le champ libre.


Revoir aujourd’hui ce premier chapitre est instructif au regard des évolutions plus récentes de son esthétique : Mission : Impossible est un film majoritairement calme, presque chuchoté, dans des intérieurs cossus et à l’ambiance compassée. Ethan Hunt y parle d’avantage qu’il ne bastonne : plus cérébral, stratège, il est la méticulosité même dans un univers secret, retors et ultra-sécurisé. L’esthétique prend en charge ce malaise d’un homme livré à lui-même dans ce monde de faux semblants, par l’abus de plans obliques, de plongées et contre-plongées, livrant une partition qui donne par instant une tonalité véritablement cauchemardesque à l’atmosphère.


(Quelques spoils)
Certes, le film a vieilli : s’il est amusant dans sa façon d’aborder le proto-internet (notamment dans ce système révolutionnaire des newsgroups et de l’envoi d’e-mail), il est moins heureux dans sa gestion des effets visuels, et la dernière séquence dans le tunnel sous la manche est d’une laideur assez embarrassante. Les comédiens sont assez mauvais (et les français occupent le podium sur la question) et l’intrigue aurait pu gagner en complexité, même si les artifices visuels pour la résoudre sont malins : la superposition de flasbacks explicatifs sur Phelps, imaginés par Hunt, alors qu’il prétend avoir découvert que c’est Kitridge le coupable est assez savoureuse, tout comme ce récit initial revisité façon Rashomon.


Mais c’est évidemment pour une scène centrale que le film restera dans les mémoires : ce fameux braquage d’une chambre forte de la CIA, qui doit esthétiquement beaucoup au grand film matrice 2001 (influence que le cinéaste reprendra plus explicitement dans Mission to Mars) : la blancheur circulaire du décor, le jeu avec une pseudo-apesanteur grâce aux câbles, permettent une tension et une beauté conjuguées au profit d’une efficacité optimale. On retrouve ici la méticulosité extrême de De Palma, qui gère l’exhaustivité des enjeux : la température, la gestion de l’espace, le son, le toucher, et un regard chirurgical qui remonte une corde comme il l’avait déjà fait dans l’apogée de Carrie. Mission accomplie : De Palma dilate, diffère et tend à l’excès une scène d’anthologie qui deviendra une référence pour les générations suivantes, et se paie le luxe d’introduire deux qualités rarissimes dans le blockbuster : la lenteur et le silence.


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Sergent_Pepper
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le 11 août 2018

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Sergent_Pepper

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