Grand succès de l’année 1996, le Mission Impossible de Brian De Palma réussissait à rebooster la carrière de sa star Tom Cruise tout en trahissant habilement la série culte dont il était adapté. Sorti quatre ans plus tard, à l’aube de ce siècle, sa suite Mission Impossible 2 conforta le succès de la franchise au sein du panorama cinématographique de l’époque, tout en révélant les ambitions de sa star. Alors décidé à confier chaque film de sa franchise à un cinéaste différent, le producteur/acteur Tom Cruise se tournait ici vers John Woo pour réaliser ce second opus. Encore auréolé du succès critique et public de son Volte/Face, le cinéaste hong-kongais ne se fit pas prier pour accepter la proposition, MI2 étant pour lui l’occasion d’apposer son style si particulier à une franchise que Tom Cruise souhaita alors plus orientée vers l’action que l’espionnage. Scénariste du premier Mission Impossible, mais écarté du scénario final par De Palma pour des divergences artistiques, Robert Towne (Jours de tonnerre, La Firme mais surtout Chinatown et The Two Jakes) hérita de l’écriture de cette suite, retravailla un traitement initial écrit par Ronald D. Moore et Brannon Braga et se plia aux impératifs donnés par Cruise : plus d’action, plus de cascades, moins de phases d’infiltration, un méchant classe mais pas trop et surtout, surtout… une belle à sauver.


Car si Cruise s’était payé le luxe en 1996 d’exécuter lui-même la plupart des cascades du premier Mission Impossible, c’est véritablement avec ce Mission Impossible 2 que la star s’offrit l’image, aujourd’hui célébrée par tous ses fans, d’acteur/cascadeur. Preuve en est cette intro le voyant gravir, sans attaches et sans filet (et sur un paysage incrusté) une falaise en plein désert. Un exercice que la star voulut impressionnant et tout entier dédié à sa gloire, l’acteur posant même un instant dans une posture christique significative alors que son rôle dans l’église de scientologie se voyait de plus en plus critiqué dans les médias. À l’image d’un Capitaine Kirk escaladant sa montagne au début de Star Trek 5, cette intro ne sert bien évidemment qu’à contenter l’égo de la star, lequel se servira de son film pour magnifier chacune de ses apparitions et exploits, la mise en scène de John Woo, réalisateur visiblement bien plus malléable que Brian De Palma, se mettant tout entière au service du narcissisme de la star, tout comme la BO très rock (représentative de son époque) confiée à Hans Zimmer. Et c’est bien ce putain d’ego qui fera le succès de la franchise Mission Impossible sur grand écran mais qui plombera pour beaucoup ce MI2, décidément trop m’as-tu-vu et excessif dans la forme pour convaincre. Je suis d’ailleurs toujours partagé par ses qualités de pur entertainment, hélas, souvent filmé de manière quasi-caricaturale, et la volonté manifeste de sa star d’en faire, tout comme les opus suivants de la saga, un véhicule à sa propre gloire (Cruise fait tout, Cruise court partout, Cruise escalade tout, et les réalisateurs zooment continuellement sur son visage dès qu’il conduit une moto, un bolide ou un hélico…).


Si John Woo restait alors un solide artisan, capable d’emballer de grandes scènes d’action (la poursuite finale reste le grand moment du film), son style tout en ralentis et en zooms appuyés, très proche de celui d’un Sam Raimi (ce n’est pas pour rien que ce dernier produisit le premier film américain de Woo), flirte souvent avec le parodique involontaire, d’autant plus quand le cinéaste alourdit sa mise en scène d’un symbolisme inutile, plus ridicule que nécessaire. Il suffit de voir ces quelques scènes dans l’acte final où Ethan Hunt effectue toutes ses acrobaties au milieu d’une nuée de pigeons, son passage étant parfois annoncé par une colombe en CGI. Un gimmick et des acrobaties propres au style de John Woo, lequel transforme l’espion piégé du premier film en justicier flingueur (et Cruise en mini-Chow Fat) se lançant systématiquement au ralenti et cheveux au vent dans des figures improbables et inutiles. Il faut d’ailleurs souligner que seules les actions de Cruise sont filmées au ralenti, inutile de magnifier le méchant au risque d’en faire l’égal du héros.


Le méchant, parlons-en, se résume ici à un banal archétype de psychopathe cupide et jaloux. Présenté comme un agent renégat, véritable pendant négatif de Hunt (voir cette scène d’intro où le méchant se révèle sous le masque du héros), Sean Ambrose est un traître, jeune, svelte et beau-gosse, à l’opposé du vieux Jim Phelps. Sa raison d’être est pourtant la même : déterminé à mettre la main sur un MacGuffin à la con, le méchant voit la femme qu’il aime lui préférer Hunt et, malade de jalousie, la sacrifie sur l’autel de son ego. Mais pas de panique, Tom Cruise est là pour la sauver. Le dernier acte du film voit ainsi la star multiplier les acrobaties arme au poing, les poses stylées en moto et les figures martiales au ralenti pour sauver le pauvre petit bout de femme fragile et sans défense dont les minutes sont comptées. Particulièrement talentueuse (il faut la voir jouer dans Collision), Thandie Newton servait ici clairement de pur faire-valoir à la star Cruise (qui l’avait déjà croisée dans Entretien avec un vampire). Initiant la mode des Ethan Hunt Girls interchangeables (à une Michelle Monaghan près), l’actrice se contente d’être belle, de ne presque rien dire et de marcher vers sa destinée, un chœur lyrique de chants féminins (Zimmer recyclait ici ce qu’il avait employé dans Gladiator) l’accompagnant dans sa résolution à se jeter du haut d’une falaise pour sauver la ville de Sydney.


Et Dougray Scott dans tout ça ? C’est un bon méchant ?

Non.

Il faut dire que les Hans et les Simon Gruber ne sont pas légion dans l’univers d’Ethan Hunt. Trop risqué. Des méchants mémorables comme ça, incarnés par des acteurs de talent, ça vole facilement la vedette à un scientologue trop imbu de lui-même. Cabotin au possible et prisonnier d’un rôle de vilain archétypal, le pauvre Dougray Scott intégrait là la grande série de méchants en cartons de la saga Mission Impossible (à un Philip Seymour Hoffman près, très bon dans MI3). Scott a de la gueule, il a même du charisme, mais son personnage n’a ni profondeur, ni subtilité, ni psychologie. Outre la jalousie et la cruauté inhérente à son personnage, on ne pourra que remarquer l’homosexualité latente que la mise en scène de Woo appuiera grossièrement. Fidèle à son obsession de l’ennemi intime, le cinéaste transformait non seulement le vilain Sean Ambrose en double négatif de Hunt, mais il lui flanquait aussi un sbire, incarné par Richard Roxburgh, lequel se montre si suspicieux et possessif envers la vie sentimentale de son patron qu’on croirait qu’il est amoureux de lui. La scène du coupe-cigare/castration, dans laquelle Woo filme les deux comédiens figés dans une pose de rapport de force plus qu’éloquente, suffit à signifier le propos du cinéaste qui a toujours bien aimé les poses équivoques. Cela aurait bien sûr été autrement plus subtil si les personnages avaient été mieux développés et si Woo n’avait pas appuyé ses idées jusqu’à la caricature. Quand on sait que Dougray Scott a refusé le rôle de Wolverine et qu’il a cédé sa place à Hugh Jackman dans le premier film X-Men pour privilégier ce rôle de bad guy, on peut se demander s’il ne l’a pas regretté après coup (vu le succès de la franchise X-Men et la carrière de Hugh Jackman qui décolla par la suite, il est très probable que oui…).


Le méchant trépassant de manière fort banale (mais Cruise trouvant quand même le prétexte de faire une dernière belle pirouette au ralenti pour le tuer), Ethan et Nya s’éloignent donc main dans la main et un sourire aux lèvres dans un parc plein de monde, sous un soleil radieux d’été. La fin du film nous annonce ainsi le début d’une grande histoire d’amour entre les deux personnages… C’est pour ça qu’au début du film suivant, Ethan Hunt est marié avec une tout autre femme, incarnée par Michelle Monaghan. Laquelle ne tardera pas à céder sa place dès le film suivant pour d’autres belles actrices. Tel James Bond avant lui, Ethan Hunt/Tom Cruise ne saurait rester l’homme et le héros d’une seule femme.

Buddy_Noone
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le 31 août 2023

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