Faut croire que la musique de Schoënberg me gonfle

C'est ce que je retiens d'abord à la sortie du film de Straub et Huillet, à quel point la musique m'a gonflé. C'est peut-être une faute de goût de ma part mais ces sonorités dissonantes, autant elles me plaisent chez Frank Zappa, autant en musique classique, elles me filent la migraine.

C'est dommage parce que sans cela, j'aurais probablement passé un très bon moment devant la peinture que nous offre les deux cinéastes. En même temps, enlever la performance vocale, c'est aussi saccader l'originalité du dispositif, me direz-vous. Certes. Et cette performance s'accouple d'ailleurs à un texte de toute beauté qui perdrait sûrement de sa substance sans le chant. Certes.

Dans tous les cas, je me suis pas mal ennuyé pendant cette longue heure quarante et j'ai envie de l'imputer à la musique de Schoënberg. Parce que moi, les reconstitutions épurées et minimalistes, j'en suis fou. L'Evangile selon St Matthieu est d'ailleurs un de mes films préférés. Et il y a d'ailleurs un côté pasolinien dans le film de Straub et Huillet. Dans ces plans dépouillés de toute artifice, authentiques, vrais. La différence, c'est que Pasolini parvient à évoquer en moi des sensations diverses et variées alors que Straub et Huillet me donnent à voir un objet parfois fascinant mais qui me laisse quand même à l'extérieur (la faute à cette putain de musique d'opéra !).

Quant à savoir si le travail de Straub et Huillet est du cinéma (puisque c'est l'un des reproches que j'ai pu lire), la question me paraît stérile. Oui, oui, oui et encore OUI. Le minimalisme et le statisme des personnages n'exclut absolument pas (au contraire, même) une approche cinématographique. Et si les personnages sont souvent statiques, la caméra de Straub et Huillet ne se prive pas de dualités et de dichotomies parfaitement cinématographiques. C'est un cinéma de franc-tireur qui nous rappelle toujours à la rigueur du cadrage, et qui croit beaucoup dans le champ/contrechamp et le hors-champ. Ne serait-ce que dans la façon dont Moïse et Aaron sont représentés, comme parfaitement étrangers à la foule, qui forme une masse compacte.

Nos deux personnages lui font même face et ce n'est que quand Moïse se retire sur le Mont Sinaï pour y chercher les Tables de la Loi, que la mise en scène change. Aaron se retrouve en biais par rapport au peuple, symbole de la tentation qui est exercé sur lui. Et lorsqu'il cède à l'idolâtrie, avec l'épisode célèbre du veau d'or, il se retrouve au sein du peuple, comme un élément indistinct de la foule.

A cet instant-ci, une césure semble s'opérer dans la mise en scène de Straub et Huillet. Les plans larges symétriques se multiplient (dans des passages rappelant pas mal La Légende de la forteresse de Souram de Paradjanov pour rester chez les avant-gardistes). La mise en scène se diversifie. Et ce n'est que quand Moïse redescend de la montagne que revient avec lui le statisme et la rigueur exacerbée des plans.

J'aime d'ailleurs pas mal cette seconde partie d'athéisme, de débauche lubrique et d'adoration du veau d'or, les chants s'y font plus discrets, c'est peut-être aussi pour ça.

Dans tous les cas, le geste est purement cinématographique, radical dans son dispositif. Mais la musique me fait chier.
Nwazayte
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le 6 janv. 2014

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Nwazayte

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