Enfant terrible et cinéaste prodige, telles sont les deux étiquettes communément attribuées à Xavier Dolan, sa courte mais riche carrière suscitant bien des passions : mais par-delà une précocité palpable et un statut de « visage » du cinéma canadien rapidement acquis, l’intérêt nait assurément de ses thématiques fortes, celui-ci ayant à cœur de brasser corps et âme les prismes identitaires, sentimentaux et filiaux en un même creuset intime.


Cinquième film en autant d’années, Mommy fut pour lui la consécration critique et, pour de bon, la révélation auprès du grand public : une occasion toute indiquée de découvrir son cinéma par ce biais renommé, même avec un ou deux trains de retard. Toutefois, si nous ne parlerons pas de déception du fait d’une attente s’étant tarie à petit feu, le long-métrage évoque sa réputation élogieuse sans totalement la justifier : non pas qu’il s’agisse d’un pétard mouillé ou que le talent de Dolan soit exagéré, bien au contraire, mais le degré d’investissement qu’invoque pareille expérience est des plus à mêmes de vous laisser de côté… si vous en ratez le wagon.


Il est à ce titre impossible d’en renier les qualités, toutes plus évidentes les unes que les autres : en guise de fer de lance ostentatoire, Mommy recèle d’innombrables idées de mise en scène, son bougre de réalisateur se payant d’autant plus le luxe de faire du format 1:1 davantage qu’un simple « choix » technique (ou pire, une lubie). Si la pression d’un quotidien sans issue, étouffant et pernicieux ne pouvait pas nous échapper, les variations soudaines comme justifiées qu’imprime Dolan par l’entremise de Die et Steve se veulent brillantes comme salvatrices : cette signature visuelle ne fait donc pas qu’exister, elle incarne, porte et alimente une intrigue pourtant propice au déséquilibre des atouts.


Car oui, si tant est qu’il faille le rappeler, Mommy est avant tout un récit conviant l’empathie d’un tout un chacun dans une valse de coups du sort, éclaircies lumineuses et désespoir latent. Au sommet de ses arguments incontournables se hisse ainsi son tandem de mère et fils hors-norme, leurs introductions respectives préfigurant avec doigté du schmilblick à venir : nullement handicapé par sa double-casquette, Dolan semble à contrario pleinement s’épanouir en tant que touche-à-tout (montage compris, forcément) ayant de la suite dans les idées (le fait que le duo se mue en trio le plus naturellement du monde le cristallise à merveille, d'autant que Kyla fascine). L’écriture de ses personnages illumine par voie de fait l’ensemble, véritable bras armé d’un propos sincère qui captive… mais confine parfois au mi-figue mi-raisin.


La raison est des plus simples, assujettie à la perception, l’accueil variant d’un spectateur à l’autre : dans mon cas, les vociférations inaugurales, puis constantes, de cette brochette d’entités complexes à souhait m’auront tout bonnement usé. Un état de fait s’établissant ainsi dès le premier quart d’heure du film, la poursuite des événements ayant logiquement tôt fait de s’envenimer et d’accroître ce sentiment : nonobstant l’intelligence du tout, il émerge alors un soupçon de prévisible au sein d’une trame dont nous connaissons le fin mot déprimant. Comme si Mommy payait d’une certaine manière l’énergie débordante d’un Steven attachant, ou pâtissait plus finement du vernis « superficiel » d’une Die toute en nuance.


D’ailleurs, le rêve éveillé de cette dernière, assimilable au coup de massue d’une intrigue atteignant son point d’orgue, contient une anomalie que je ne m’explique pas : à moins d’une erreur d’appréciation, il apparaît qu’Antoine Olivier Pilon cède momentanément ses traits à Dolan-himself à l’aune d’une pluie « purificatrice ». S’il s’agit bel et bien de lui, nous pourrions y entrevoir la marque définitive d’une projection personnelle et assumée de ce dernier, qui ne s’est à juste titre pas caché de vouloir aborder (de nouveau) son rapport à la figure maternelle ; factuellement, le procédé laisse néanmoins songeur quant à sa pertinence.


Bref, difficile d’accabler Mommy de quoi que ce soit tant celui-ci constitue, de façon duale et complémentaire, une proposition de cinéma et un « exutoire » des plus intrigants (sans oublier son sous-texte social). Il n’est ainsi pas à exclure que le film soit mieux perçu à la faveur de visionnages ultérieurs… en tout cas, disons qu’il les méritera largement.

NiERONiMO
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le 19 mai 2020

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