Caline de bine ! Mommy ça a d'l'allure !
Bon, des critiques dythirambiques, un film d'auteur intello québécois, je frétillais d'impatience de le voir pour le pourrir dans une critique négative (parce que c'est plus rigolo à écrire) ; I have never been so wrong...
Après une courte intro texte pour planter le contexte social d'un Québec fictif, le film commence.
Dès les premières minutes, 2 détails d'importance sont à noter : 1) l'étrange format 1:1 de l'image, 2) les dialogues en argot québécois, heureusement sous titrés. Autant le deuxième point, qui peut faire sourire au début (tabarnacle !), est complètement justifié par l'histoire et effacé par le très bon jeu d'acteur; mais le format carré c'est carrément désagréable…
Au début on est vraiment dérangé par cette image qui nous rappelle les pires vidéos verticales de YouTube faites par des idiots incapables de tenir leur téléphone à l'horizontale, on est frustré de ne pas voir la moitié de l'image. Les plans sont cependant merveilleusement bien composés malgré ce gros handicap et réussit au bout de quelques minutes l'exploit de nous faire admettre l'inadmissible lorgnette par laquelle nous voyons cette histoire.
Et puis intervient la scène du longboard... BOUM ! Changement de ratio ! LIBERTE ! Twist cinématographique qui met en lumière le génie du réalisateur, partie émergée de l'iceberg de la maîtrise technique et métaphorique du film, ce premier climax donne tout son sens en nous envoyant une énorme baffe.
Frissonnant d'émotion, tout m'a d'un coup apparu cristallin : Ce ratio 1:1 c'est l'essentiel, le format du portrait, le portrait de ces personnages qu’on aurait loupé sur un trop vaste écran rempli de superflu, et qui sont paradoxalement eux même prisonniers dans ce carré trop petit pour s'exprimer et vivre normalement. Le carré c'est la claustrophobie du spectateur frustré de ne pas tout voir et qui partage le poids des épreuves de la vie auxquelles sont confrontés les personnages. C'est aussi un trou de serrure par lequel on découvre leurs histoires, jamais entièrement dévoilées, toujours à moitié cachées, comme la moitié de l'écran. C'est enfin le format de la pochette d'album, des images toujours esthétiques censées illustrer la musique.
Car la musique occupe une grande place et sert véritablement l'histoire avec justesse à travers les paroles (ce qui est rare). On citera par exemple White Flag de Dido ou surtout On Ne Change Pas de Céline Dion dans la scène de la cuisine, et enfin dans le bar Vivo Per Lei d'Andrea Bocelli qui aurait mérité des sous titres pour les non italophones pour saisir les phrases clés "Je vis pour elle et ce n'est pas un fardeau". Egalement à noter la très belle pièce d'instruments à cordes qui intervient lors du 2nd changement de ratio du film (qui marque le dernier chapitre), qui accompagne merveilleusement bien des scènes en travelling circulaires et à longue focale très puissantes.
Les acteurs sont époustouflants de sincérité, de talent, de nuance et... Enfin ils sont parfaits quoi ! La « Mommy", campée par Anne Dorval, pas élégante pour 2 sous avec son argot et son look dégeu arrive à incarner cette prestance et cet amour inexplicable des Mamans. Le jeune AO Pilon est énorme dans son rôle de pauvre gamin aux tendances psycho et œdipiennes. Enfin un gros pouce aussi à Suzanne Clément dans son second rôle intrigant.
Outre le jeu avec le ratio, le reste de la réalisation est aux petits oignons avec des plans très esthétiques, une grande place donnée aux visages, le déplacement des acteurs est recherché, des mouvements de caméra et de mise au point intéressants et qui viennent toujours servir l'histoire. La scène de la pluie sur la vitre de voiture vers la fin est particulièrement bien pour ça.
Bref avec Mommy, Xavier Dolan (que je découvre) nous sert une perle toujours dans son huître et qu'il faut savoir ouvrir pour admirer le bijou. Prises séparément, ses qualités ne sont pas inédites. Le changement de ratio par exemple, je l’ai déjà vu dans le Magicien d’Oz; mais jamais je n’ai vu autant de justesse dans leur utilisation. Toutes les techniques du cinéma (image, musique, jeu) servent ici l’histoire de façon très complète et cohérente, et ÇA c’est signe d’un bon réalisateur. Et puis le réalisateur qui donne la leçon : il a 25 ans quoi, tranquille...