Ce film ambitieux de l’expérimentateur cinéaste qu’est Alain Resnais a obtenu le Grand Prix du Jury au festival de Cannes 1980. Il peut rebuter par son côté didactique qui se sent probablement plus en 2013 qu’à sa sortie. Il mérite néanmoins d’être vu par toute personne désireuse de comprendre le monde au sein duquel nous vivons.

Le film illustre les théories du biologiste Henri Laborit, auteur notamment d’un essai au titre éloquent « Eloge de la fuite ». Alain Resnais fait du biologiste son personnage central, tout en l'intégrant à sa fiction. Henri Laborit a longuement expérimenté sur les animaux afin de comprendre les comportements humains : l’homme est un mammifère rappelle-t-il. Admiratif de ces travaux, Alain Resnais a élaboré un film qui mêle intelligemment les aspects documentaire et fiction, afin de sensibiliser un public non averti. Malheureusement, cette volonté se retourne un peu contre son auteur. Les théories scientifiques évoluent très rapidement et ce film ne passe plus aujourd’hui comme il passait en 1980. Aujourd’hui, on aurait tendance à se fixer sur la qualité des interprétations et de la mise en scène, plutôt que sur les idées véhiculées. Alors, malheureusement, le film a un côté théâtral un peu trop visible, ainsi qu’un aspect illustratif trop évident. Et puis il manque de chaleur humaine, ce qui est fort regrettable. Quant aux interprétations, en revoyant le film, j’ai surtout été marqué par les seconds rôles : Pierre Arditi et Nelly Borgeaud.

Le film débute comme un documentaire, présentant les biographies des 3 personnages principaux en faisant défiler des photographies. On fait ainsi la connaissance de Jean Le Gall (Roger-Pierre dans un contre-emploi étonnant, puisqu’on le connaissait à l’époque dans son duo comique avec Jean-Marc Thibaut), Janine Garnier (Nicole Garcia) et René Ragueneau (Gérard Depardieu). On les suit de leur petite enfance à l’âge adulte. Ragueneau est d’origine paysanne angevine, Janine Garnier fille d’ouvriers parisiens et Jean Le Gall est issu d’une famille bourgeoise bretonne. Chacun des trois a été marqué par une éducation et un milieu bien particuliers, quelque chose d’assez schématique mais c’est pour les besoins de la démonstration. Chacun est marqué également par son admiration pour une figure du cinéma français : Jean Marais pour Janine, Jean Gabin pour Ragueneau et Danièle Darrieux pour Le Gall. Façon intéressante de marquer des caractères. Je remarque néanmoins que cela fonctionne bien pour Jean Marais et Jean Gabin mais nettement moins pour Danièle Darrieux, comme si Resnais connaissait moins sa filmographie : étonnant. Tout cela est commenté par une voix off qui fait un parallèle avec le fonctionnement animal. On apprend qu’il y a eu, au cours de l’évolution, 3 sortes de cerveaux de plus en plus évolués, jusqu’au cerveau humain qui intègre les précédentes évolutions. Une partie qui risque d’agacer ceux qui gardent un mauvais souvenir des cours de biologie.

Heureusement, le film démarre vraiment et les histoires viennent s’imbriquer les unes dans les autres pour illustrer les propos du professeur Laborit (son col en pelle à tarte…) Celui-ci a ouvert le film en affirmant que le but de tout être vivant est avant tout de maintenir cette vie. Pour cela, il doit subvenir à ses besoins élémentaires. A sa disposition, il a 4 types de comportements : consommation (besoins élémentaires), lutte, fuite et inhibition. L’être vivant doit apprendre ce qui lui permettra de survivre dans son milieu. Un être vivant est une mémoire qui agit. Pour survivre, il doit apprendre à trouver sa place au sein du groupe auquel il appartient, sans bouleverser l’équilibre de ce groupe. Mais les besoins individuels sont souvent contradictoires, d’où les situations de conflit.

C’est très clinique et cela peut faire froid dans le dos ! En effet, au moment où le spectateur apprécie l’émergence du matériau romanesque, un impitoyable retour en force du parallèle entre le discours scientifique et l’action revient gâcher le plaisir de l'amateur d’histoires. Des rats de laboratoire sont mis dans des situations qui peuvent heurter. Et ce d’autant plus que le film fait cruellement sentir que, dans certaines situations, l’être humain est soumis aux mêmes pressions que ces rats. Le message final (d’une grande force), apporte enfin un côté humaniste à un film très porté sur l’aspect scientifique de l’observation des comportements humains.

Si cette critique vous laisse perplexe, sachez que le professeur Laborit insiste sur le fait que le langage est un puissant moyen d’exercer un ascendant sur les autres. Voilà qui devrait suffire à éveiller la curiosité et l'attention de toute personne sensée. Ce film montre la complexité des rapports humains dans une société organisée. Le voir permet de mieux sentir et comprendre les choix essentiels que chaque individu peut être amené à faire au cours de son existence. Ma note exprime le fait que, en dépit de ses défauts, ce film est important. Démonstration réussie pour le duo Laborit-Resnais.

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le 14 mai 2013

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