Khavn de la Cruz est un réalisateur, acteur, poète, chanteur et musicien philippin et accessoirement un sacré personnage punk underground au look bigarré. Ce n'est sans doute un hasard si le cinéaste a choisi pour son film ce titre de Mondomanila qui renvoie au genre des Mondo ces pseudos documentaire souvent un peu bidonnés qui sous couvert de nous faire découvrir des coutumes exotiques multipliaient les séquences chocs comme un triste écho d'un monde absurde et violent. Avec Mondomanila le réalisateur nous plonge non pas au cœur mais dans les entrailles d'un bidonville crasseux et violent de Manille dans lequel s'entassent et survivent les laissez pour compte du système. Le film est toutefois une véritable fiction même si elle se nourrit d'un regard documentaire brut et des personnages originaux qui peuplent ce monde de misère que le réalisateur filme souvent à l'arrache.


Mondomanila va suivre essentiellement un groupe de gamins constituant un gang hétéroclites de délinquants et d'amis. Lorsque le plus jeune frère de ce chef de gang est victime d'un pédophile facho, le groupe organise alors une vengeance aussi froide que violente.


Mondomanila est un film a réservé à un public averti d'ailleurs le film s'ouvre sur un générique en dessin animés fait de vignettes grotesques, étranges et super trash presque comme un avertissement. La suite sera du coup presque un peu plus apaisante même si Khavn de la Cruz ne va pas pour autant mettre la pédale douce sur toute la noirceur, la saleté et la violence de son univers. Le film s'ouvre alors sur une présentation des différents personnages du film qui constituent la faune de ce bidonville , on y trouve un nain qui se ballade torse nu avec un nœud papillon, un débile accroc à la masturbation, un gosse zoophile qui adore s'amuser dans les oies et dans la bonne humeur, un gosse homosexuel au grand désespoir de son père qui avait déjà huit filles, un rappeur à qui il manque les deux bras (pas facile pour faire Yo! avec les doigts), un vieil excentrique qui porte un cache oreille rose, des jumelles naines exhibitionnistes, une black obèse, un vieux nazillon pédophile qui chante au piano sa haine de ce ramassis d'humanité tout juste bonne à servir d'esclaves sexuels ou un danseur de breakdance nain avec un seul bras (oui il y-a beaucoup de nains). Tout ce petit monde évolue dans ce bidonville sur lequel règne misère, famine et précarité, dans lequel des gosses s'amusent sur des montagnes de déchets et d'immondices, dans lequel on mange des rats et dont les rares échappatoires restent la drogue, le sexe, la violence et l'amitié. L'univers du film est donc d'une noirceur absolue mais même si Khavn de la Cruz ne détourne jamais le regard et se complet parfois dans des représentations aussi cash que trash, son film est également porté par une forme d'énergie positive ventant la profonde solidarités de tous ses exclus.


Quelque part entre John Waters, le cinéma de Hector Babenco, Luis Bunuel , l'underground des premiers films d'Abel Ferrara et le cinéma purement expérimental; Khavn de la Cruz nous livre un film polémique et politique qui dénonce avec force l'abandon des précaires par le pouvoir, la violence des gouvernements, la bonne conscience des dons humanitaires et le tourisme sexuel le tout enrobé dans un voyage sans retour au pays des exclus. Souvent agressif dans sa mise en scène Khavn de la Cruz expérimente des distorsions d'images, des séquences faites de collages de plans fixes, des scènes en noir et blanc, un montage tantôt ultra cut ou plus aéré, le tout en mélangeant comédie musicale, drame social, rape and revenge, érotisme, burlesque et horreur. Mondomanila est un étrange patchwork de sensations capables de vous faire passer d'un sourire à un profond malaise en un rien de temps comme un incroyable yo-yo de sentiments. Le film comporte quelques scènes assez formidables comme lorsque ce rappeur handicapé chante en pleine rue le désespoir d'une jeunesse et d'une vie qu'il sait perdue d'avance ou quand Khavn de la Cruz nous balance en plein milieu de son film une parodie de publicité qui vante façon eau minérale les bienfaits de l'eau pollué et bourré de saloperies du bidonville. Le final façon comédie musicale dansante apporte enfin un léger souffle de joie et de lumière sur un film par ailleurs plutôt étouffant et désespéré.


Mondomanila est donc loin du registre tout public, sa forme agressive et expérimental, son contexte violent et social, ses provocations et son regard abrupt des choses, la virulence de son propos politique sont autant d'éléments qui font que le film reste réservé à un public averti. Si vous aimez le confort des divertissements bien aimables vous pouvez passer votre chemin, si en revanche vous n'avez rien contre le fait d'être un peu bousculé dans votre fauteuil Mondomanila est une expérience à vivre.

freddyK
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le 21 févr. 2022

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