Qu’ils sont beaux, qu’ils sont « parfaits » ces films d’engrenages tueurs d’hommes, ces films qui font fuir la vérité inexorablement, sous les yeux d’un protagoniste éperdu, confit par la fascination, et ceux d’un spectateur dans l’attente insoutenable de la Révélation.

Je ne connaissais pas Joseph Losey et Monsieur Klein semble être son film le plus connu. Il a l’air d’un réalisateur qui maîtrise parfaitement son sujet, « à l’ancienne », net et sans bavure, du style Melville. « On commence ici et on termine là. Le personnage va marcher, beaucoup marcher, parler peu, regarder surtout, ne rien comprendre à rien, et aura un caractère attachant, sans être angélique pour autant. » C’est très bien, j’aime ça.

Cadrages propres, sens du suspense inné, musique savamment dosée, et surtout direction d’acteurs au poil : la mécanique fonctionne du tonnerre. Ce Delon vieillissant a gagné en maturité, dans le jeu, dans la mine. Les yeux s’effacent à moitié derrière les cernes, et c’est surtout la stature, l’aplomb et la voix qui confèrent à l’acteur une grande part de son charisme à l’écran.

Un Paris sous l’Occupation plus vrai que nature sert de scène silencieuse, au petit matin ou durant le couvre-feu, à cette tragédie absurde qui se décante comme le meilleur des vins. Tractions-avant noires ronronnantes qui déversent leur flot inquiétant de képis et de capes sombres ; trottoirs gris détrempés aux tristes mines ; kiosques à journaux auxquels sont suspendus les derniers numéros de Signal… tout respire bien la Seconde Guerre mondiale dans ces décors, c’est-à-dire le désastre de la résignation et la honte de la collaboration vichyste.

Losey fait cependant le pari de montrer tout cela de la perspective supposément détachée et objective du protagoniste. Un homme qui porte un regard cynique et froid sur la situation, tout en en reconnaissant, lorsqu’elle l’atteint directement, le danger et le caractère univoque. Véritable exemple de film fuyant, sans morale distincte, Monsieur Klein est une leçon de cinéma qui se termine, beauté suprême, avec le despotisme rugueux des très grands films.

grantofficer
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films avec Alain Delon, Les meilleurs films avec Jeanne Moreau, Les meilleurs films avec Michael Lonsdale et Les meilleurs films de 1976

Créée

le 27 oct. 2022

Critique lue 21 fois

3 j'aime

grantofficer

Écrit par

Critique lue 21 fois

3

D'autres avis sur Monsieur Klein

Monsieur Klein
Dagrey_Le-feu-follet
8

Homonymie kafkaienne

En 1942, Robert Klein, jeune homme aisé, amateur d’art et de femmes, achète à bas prix des œuvres d’art appartenant à des juifs qui tentent de quitter la France. Ayant reçu par voie postale un...

le 7 mai 2023

39 j'aime

3

Monsieur Klein
LeMirballet
9

La vérité à tout prix !

César du meilleur film 1977, Monsieur Klein fut pourtant un échec commercial à sa sortie puisqu'il fit à peine 700 000 entrées, pour un budget de plus de 20 millions de francs. Alain Delon, par...

le 16 déc. 2010

39 j'aime

2

Monsieur Klein
Truman-
8

Critique de Monsieur Klein par Truman-

Mr Klein n'est pas encore un de ces nombreux films parlant de l'occupation et des déportations, il le fait bien évidemment car ça reste le sujet principal mais il le fait avec un oeil nouveau sur...

le 6 déc. 2013

28 j'aime

4

Du même critique

My Mister
grantofficer
9

Un homme d'exception

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : My Mister est l'une des plus belles séries que j'ai pu voir récemment. L'histoire de la série tourne autour des deux personnages de Park Dong-Hun,...

le 28 mai 2020

22 j'aime

15

My Name
grantofficer
6

The Girl From Nowhere

Un an après le très surprenant Extracurricular, Kim Jin-min rempile avec un nouveau drama produit par et pour Netflix. Cette fois le bonhomme s’inspire de l’univers des gangs et des stups pour...

le 16 oct. 2021

21 j'aime

1

Stranger
grantofficer
9

L'arbre qui cache la forêt (critique saisons 1 & 2)

Critique de la saison 1 Stranger, de son nom original coréen Secret Forest, nous plonge dans une affaire criminelle atypique dont a la charge un procureur génial qui, à la suite d'une opération du...

le 16 mars 2020

19 j'aime

11