L'oeuvre de Jean Girault, exclusivement sacrifiée à la comédie sur les planches ou sur les écrans, n'est pas des moins nuancées sur le plan qualitatif. Ici, on se trouve "en milieu de gamme".


Tout d'abord, le cinéma de Jean Girault se fait en famille, et c'est quasiment toujours la même, depuis ses premières mises en scène pour le cinéma. L'un de ses collaborateurs fétiches, qui fait littéralement figure de clef voûte en ce qui concerne son travail créatif, est son scénariste Jacques Vilfrid. À quelques rares exceptions près, Girault ne travaille qu'avec lui, l'inverse est également le cas, à tel point que l'on peut parler d'une oeuvre commune, celle d'un véritable duo. Et on peut même aller plus loin en affirmant que le cinéma de Girault est surtout celui de ses comédiens vedettes, dont la figure de proue - tutélaire même - de ses plus gros succès au box-office et de ce qui représente sa plus belle et longue collaboration avec un acteur de premier plan, avec qui il terminera sa carrière, demeure Louis de Funès.


Ce dernier est ici absent. Place est faite à d'autres acteurs fétiches du cinéaste, dont chaque trogne et personnalité constituent un véritable terrain qui balise le style de Girault. Ses comédies reposent sur des ressorts comiques vaudevillesques convenus pour laisser le champ libre à la création de ses comédiens qui portent ses long-métrages à bout de bras. Un film de Girault n'est finalement pas un film de Girault, mais un film de Louis de Funès, une comédie des Charlots, un long-métrage du duo Darry Cowl/Francis Blanche...


Ne développant jamais aucun thème, s'illustrant dans la simple et pure distraction (et ce n'est pas forcément un mal, du reste), on reconnait néanmoins une démarche d'auteur, celle de batir un univers où les rapports de force sont légion, que ce soit entre différentes catégories sociales ou au sein d'une même caste. Dans Monsieur le président directeur général, les rapports de force se confrontent à tous les niveaux. N'étant pas friand ici de gags visuels, préférant plutôt les quiproquos ou les personnages qui s'agitent et tourbillonnent d'un espace à un autre, le découpage de Girault filme ses protagonistes dans des cadres larges, en cinémascope, qu'il ponctue ici et là de gros plans sur les acteurs afin de mettre en exergue une réplique importante, une réaction, un regard, une mimique. En plus d'un environnement bourgeois et d'une mécanique vaudevillesque basée sur les mensonges, les chassés-croisés, les malentendus et les portes qui claquent ; l'ambiance du film, en son fond et sa forme, nous rappelle fortement celle d'Au théâtre ce soir, sensation d'autant plus soutenue par une distribution habituée des pièces de boulevard jadis diffusées dans cette émission : Jacqueline Maillan, Pierre Mondy, Michel Galabru, Jacques Marin, Jean Le Poulain etc...
Seule "anomalie" de ce casting boulevardier : Romain Bouteille, co-créateur du Café de la gare, un style de théâtre foncièrement à contre-courant de l'humour conventionnel de Girault. Cynique, absurde, méchant, délirant, l'univers comique de Bouteille est celui que partagent les jeunes qui feront, comme lui, Mai 68, un mouvement auquel est loin d'adhérer le public de Monsieur Le Président directeur général, venu s'amuser ici avec ces personnages de vieux de la vieille réactionnaires et capitalistes dont on ne se moque pas. Le propos de Girault n'est surement pas de dénoncer quoi que ce soit mais d'amuser ses spectateurs grâce à la seule force comique de ses situations boulevardières. Pourquoi pas, si c'était drôle. Or, les dialogues ne brillent jamais par leur originalité ou leur humour dévastateur et les situations demeurent malheureusement bien trop sages et convenues...


Il y avait pourtant là le sujet d'un film qui aurait pu dénoncer, sans avoir l'air d'y toucher, les travers de cette société capitaliste alors en pleines trente glorieuses, avec ce président directeur général qui met en compétition certains de ses directeurs pour une promotion. Girault et Vilfrid préfèrent s'éloigner de ce sujet pour se concentrer plutôt sur une histoire annexe de criminel - défendu et logé par une femme avocate dont le maris est l'un des postulants qui invite son président directeur général ainsi que ses concurrents à domicile... Quel dommage... C'est du "cinéma à la papa", sans surprise, où le public vient s'amuser à menu frais. Pourtant techniquement plus fort qu'un Gérard Oury ou même qu'un Édouard Molinaro, Girault a néanmoins bien moins de style. Son cinéma est à son image : d'une fantaisie réjouissane bien que polie et discrète... Du moins en l'absence de Funès. Car avec la star, la musique est différente.


J'ai écrit plus haut que le cinéma de Girault était celui du duo Girault/Vilfrid. Or, quand de Funès entre dans la danse, même s'il ne coécrit pas avec eux, son jeu et son invention de films en films sont tels qu'il est question d'un auteur, qui se construit un univers. Et on peut alors évoquer l'oeuvre d'un trio, celui de Girault/Vilfrid/de Funès. Girault et Vilfrid savent trouver des sujets intéressants et confectionner des rôles sur mesures pour les comédiens qui seront les véritables moteurs comiques de situations qu'ils savent bien trousser. L'apport du comédien, et plus particulièrement de Louis de Funès, s'avère donc foncièrement indispensable pour la réussite d'un film de Girault/Vilfrid car leurs situations ne se suffisent pas à elles-mêmes. Leurs gags, leurs quiproquos ont besoin de la folie d'un de Funès qui va réussir à faire décoller des situations convenues grâce à son étourdissante vis comica. Le génie de Louis de Funès est donc de sublimer et d'amener très haut des séquences comiques pourtant éprouvées sur le papier. Mais attention, ce n'est pas de Funès qui améliore le travail de Girault/Vilfrid. C'est plutôt eux qui savent quoi donner à manger au comédien pour le faire briller. Il s'agit donc de la collaboration d'un trio et non pas d'un duo au service d'une star ou d'un génie sauvant la pauvreté comique de ses auteurs. Dans Monsieur le président directeur général, il manque ainsi et très clairement un de Funès. L'humour vaudevillesque dans un cadre bourgeois ainsi que sa quasi seule unité d'action et de lieu nous rappellent furieusement Pouic-Pouic, du même Girault. Cependant, déjà que cet opus pouvait être considéré comme particulièrement faible ; ici, sans de Funès, le résultat est encore plus décevant.


Dans Pouic-Pouic, Jacqueline Maillan tenait un second rôle formidable, elle était absolument inénarrable dans son personnage d'épouse concon toujours à côté de la plaque, ce qui lui permettait d'être un extraordinaire accélérateur comique pour de Funès sans en être seulement le faire-valoir mais en développant, plutôt, son propre style et en faisait rire grâce à son seul talent. Ici, très étrangement, Girault et Vilfrid en font plutôt le clown blanc. Le personnage de Maillan n'est pas réellement risible et aucune folie ne se dégage de son jeu, comme si les auteurs s'étaient endormis sur son rôle. Les quelque gros plans - magnifiques du reste - que Girault lui accordent nous font regretter une écriture et une mise en scène bien trop sage, la concernant. Ces gros plans nous rappellent qu'ils ont entre les mains une très grande actrice comique ayant malheureusement loupé son rendez-vous avec le cinéma. Quel gâchis qu'une si grande vis comica fusse ainsi laissée en jachère sur nos grands écrans. Pour sûr que Girault et Vilfrid auraient pu collaborer avec elle de la même
manière qu'ils le faisaient avec de Funès. Maillan avait tout pour devenir une super star comique de notre cinéma, comme elle le fût pour notre théâtre populaire contemporain. Malheureusement, elle n'a pas rencontré les bons collaborateurs. Avec plus de travail, Girault/Vilfrid auraient pu devenir pour Maillan ce qu'ils étaient pour de Funès, ce qui aurait également permis de renouveler leur oeuvre... Tant pis. Jean-Pierre Mocky et Jean-Marie Poiré se chargeront de lui confier les clefs de bien meilleurs rôles.


Dans Pouic-Pouic, Maillan tenait le second rôle et de Funès, qui incarnait son époux, était la tête d'affiche. Ici, c'est le contraire, le maris est un second couteau, interprété par l'immense Pierre Mondy. Que ce soit dans l'écriture de son rôle comme de son interprétation, nous sommes ici très proches de ce que Girault et Vilfrid concoctaient pour de Funès. Mondy se montre ici vile et veule et il se retrouve constamment dans des situations invivables qui mettent ses nerfs à rude épreuve. Cela permet à Mondy d'être très amusant. Son timing comique implacable, sa manière de jeter des regards inénarrables sur les comportements tantôt mesquins, tantôt exaspérants de ses contemporains sont superbement risibles, pareils à ses gesticulations motivées par ses colères toujours très amusantes. Cependant, une nouvelle fois, les situations manquent de corps et on ne parvient pas à s'attacher à ce personnage qui aurait du être le moteur principal du film mais qui ne l'est jamais. Il y a ici donc un déséquilibre d'écriture, une exploitation de mauvaises pistes scénaristiques très désagréable. Comme si les auteurs avaient pris la mauvaise route et s'enlisaient sans jamais parvenir à faire demi tour. Cette fois-ci, le gâchis ne se trouve pas dans l'interprétation de Mondy mais dans l'écriture de ses scènes et nous sommes frustrés de ne point pleinement mieux suivre ses aventures. Après Maillan, un autre gâchis, en somme.


Pour revenir sur les terres "Pouic-Pouicsiennes", Jean Marin reprend son rôle de domestique. Avec cette même vis comica, il parvient à tirer son épingle du jeu. Il fait parti des moments les plus drôles du film mais là également, il est moins drôle que dans Pouic-Pouic. Si l'on déplorait le développement comique trop léger des personnages habités par Maillan et Mondy ; ici, le valet est mis en avant. Malheureusement, il est moins drôle que dans Pouic-Pouic où il était décalé. Dans Monsieur le président directeur général, il est seulement dans le jugement, reprenant le principe cher à Molière faisant du valet le personnage le plus proche du public dans son regard sur les autres personnages. Il est accompagné de la domestique interprétée par la toujours très amusante France Rumily, une actrice iconique du cinéma de Girault puisqu'elle joue la bonne soeur dans la saga du Gendarme.


Du côté des autres habitués, on retrouve Pierre Doris et Paul Préboist. Quel plaisir de recroiser ces trognes de film en film, même si on aurait préféré qu'ils soient mieux servis. Pour le rôle de l'Anglais, on regrette l'absence de Freddy Mayne, un autre habitué de Girault que l'on croisera dans ce même type de rôle à l'occasion des Grandes vacances puis de Jo. L'acteur est celui de Ne nous fâchons pas et bien que ce soit un plaisir de le recroiser, il n'a cependant pas une vis comica aussi étourdissante que celle de Freddy Mayne qui nous faisait pas rire grâce à son jeu, ses regards, sa posture, sa manière d'appréhender l'espace selon les tuiles qui lui tombaient dessus.


Quant au reste du casting, Ceccaldi est amusant dans le rôle de l'Italien mais on se demande pourquoi lui, ce n'est pas forcément un acteur outrancier, pourquoi pas un vrai transalpin ? La secrétaire n'a pas grand chose à défendre car elle passe son temps à se faire harceler durant tout le film et à repousser tous ces affreux diables qui lui courent après, au premier rang desquels nous trouvons l'inénarrable et indispensable au cinéma de Jean Girault : Michel Galabru.


C'est lui, sans conteste, qui tire le mieux son épingle du jeu. À chaque film, du Gendarme au Drôle de Colonel, du Concierge au Mille pattes fait des claquettes, on sent avec quelle puissante et malicieuse délectation Girault/Vilfrid lui concoctent non seulement du sur mesure mais, qui plus est, sans jamais que ce ne soit le même personnage. L'unique constante est que son protagoniste n'a jamais conscience qu'il est à côté de ses pompes. À chaque comédie de Girault, on sent Galabru en récréation, avec un nouveau costume et un nouveau type de "con" à défendre. Ici, il s'agit du grand patron abruti qui se pense irrésistible, intelligent et fin alors qu'il n'est que pédanterie, inculture et vulgarité. Il devient réellement Drôme dans la dernière demi heure, lorsqu'il devient le souffre douleur des situations. D'ailleurs, c'est le film entier qui trouve son intérêt dans ce dernier tiers, une fois que toutes les situations se confrontent les unes contre les autres. Cela arrive bien trop tardivement, le long-métrage souffrant d'une première heure bien trop plate.


Côté distribution, on peut conclure rapidement sur Jacque Martin, qui n'a jamais brillé au cinéma ou sur les planches et qui ne fait pas exception ici. Quant à Claude Risch, il tient exactement le même rôle que celui qu'il endossera dans Oscar d'Édouard Molinaro l'année suivante... Il est très amusant, il sait parfaitement être risible en dosant malicieusement la tension qu'il fait germer dans les situations.


Monsieur le président directeur général est donc un film que l'on regarde pour les comédiens, mis en valeur par une mise en scène qui n'hésite pas à laisser les plans durer pour apprécier la complicité qui les lie et leur virtuosité en matière de rythme, de justesse et de vis comica. Girault emballe le tout en soignant ses décors et ses costumes dans des tons gris, marron et vert, une ambiance automnale que l'on retrouve dans ses comédies de cette période (Un drôle de colonel, Les Grandes vacances...) Voila le style Girault qu'il développe à l'époque de l'oubliable (et justement oublié) Monsieur le président directeur général.

ThibaultDecoster
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le 19 mai 2021

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