P.R.O.F.S.
5.3
P.R.O.F.S.

Film de Patrick Schulmann (1985)

Il y a des réalisateurs géniaux de comédies qu'on a sous-estimé de leur vivant, et c'est triste. D'autres a qui on a littéralement manqué de respect, ce qui l'est encore plus. Mais pis encore, il y a ceux - et ils se comptent sur les doigts de ma main gauche (j'en ai que quatre) - à qui on chie dans les bottes encore post-mortem. Patrick Schulmann, metteur en scène, coscénariste et compositeur du tout aussi mésestimé (et pourtant formidable) P.R.O.F.S. en fait malheureusement partie et cela constitue, à mes yeux, la plus grande honte de l'histoire du cinéma populaire français.


En 1980, le succès des Sous-Doués de Claude Zidi a lancé toute une mode de comédies estudiantines et turbulentes réalisées à menu frais, résolument vulgaires, maladroites et foncièrement inintéressantes. Il me semble charitable de n'en citer aucune, mais faisons exception, disons, aux Diplômés du dernier rang car cette série B du spécialiste des plagiats (et ami de Zidi) Christian Gion, mettait déjà en vedette le jeune Patrick Bruel que l'on retrouve cette fois-ci chez Schulmann du côté des profs. L'idée géniale de ce dernier est d'inverser les rôles : cette fois-ci, ce sont les élèves qui sont sérieux et ce sont les profs qui foutent la merde.


Normal : Schulmann ne fait rien comme tout le monde et ne réalise que des comédies profondemment anarchistes. En seulement 7 films pour seulement 2 succès (dont P.R.O.F.S. est le plus important et pérenne), Schulmann s'est sempiternellement évertué à sortir des sentiers battus en mélangeant humour potache, gags polissons, comique absurde, ton décalé, mauvais esprit, critique virulente de société, destruction systématique des institutions, le tout réalisé avec, souvent il est vrai, quelques maladresses - le plus souvent dues par un manque de moyens insurmontable - mais qui colle à l'esprit Hara-Kiri du professeur Choron. P.R.O.F.S est le parangon du style Schulmann.


Déjà, puisqu'on aborde les références, pourquoi des points entre les lettres de P.R.O.F.S ? Schulmann aurait pu - il aurait même du - s'amuser à inventer l'acronyme. Mais non, c'est seulement une référence directe à M.A.S.H de Robert Altman dont il puise tout l'esprit comique libertaire et portnawak. Une scène géniale de P.R.O.F.S montre d'ailleurs Bruel qui accroche une affiche de M.A.S.H pour inciter les élèves à le regarder à la télé. La bibliothécaire intello et coincée lui reproche d'exposer les jeunes à ce film trop idiot, trop violent et trop sexuel.


Et là, Bruel lui répond ce que TOUS les réalisateurs de comédies populaires de l'époque désuiraient répondre aux citiques descendant systématiquement leurs films. Schulmann lui fait dire qu'il suffit de faire un plan fixe sur un oeuf pour que les intellos y interprètent pléthores de choses et développer une analyse de ce qu'aurait voulu faire comprendre le réal. Cependant, si tu mets le même plan devant un con, il s'emmerde, il gueule et il s'en va. Alors qui si tu envoies un message enveloppé par des gags et - ici en l'occurrence - du sexe, le pari est réussi. Le personnage de Bruel conclue magnifiquement par : "Intéresser les cons, c'est ce qui demande le plus d'intelligence".


Schulmann a ainsi résumé sa démarche : faire des comédies à visée populaire pour diffuser son message au plus grand nombre (oui, les cons, j'en suis un d'ailleurs). Et quel est ce message ? Il y en a plusieurs mais le principal réside sur la désacralisation. Dans P.R.O.F.S., il s'agit de l'autorité intellectuelle ici. Il faut toujours faire son propre jugement, ne suivre personne aveuglément, toujours remettre en question. Schulmann en profite pour égratigner le système scolaire français qui casse la personnalité des élèves pour les faire rentrer un même moule de docilité et d'abrutissement total.


M.A.S.H. mis à part, Schulmann n'a jamais aussi été explicite dans la citation directe des œuvres qui l'inspire. Ainsi, au cinéma club du lycée est diffusé Zéro de conduite (mettant en exergue le moment où un instituteur pose sa main sur celle d'une enfant, avant que cette dernière ne le repousse violemment, ce qui est sans nul doute la première fois que la pédophilie dans l'éducation nationale fût évoquée dans le cinéma français). Ce long-métrage de Vigo est un coup de pied au cul de l'école et de tout ce qu'elle représente, à l'instar de P.R.O.F.S. Est également évoqué Tropique du cancer de Miller, (pour son côté sulfureux et poil à gratter envers TOUTE la société), Solers (pour s'en moquer, bien évidemment) et même Le Rouge et le noir de Stendhal qui, lui aussi, brossait un portrait loin d'être excempt de défaut de la société. Schulmann nous montre qu'il ne faut pas hiérarchiser question culture, seul le message compte.


Schulmann remet ici également en question la notion de couple et explore plusieurs, voire même que, des relations toxiques, sous toutes ses formes (âges, différence et niveau social et intellectuel), avec des bourreaux et victimes différents, le tout sous couvert de comédie, sans avoir l'air d'y toucher. C'est même en ce point précis que P.R.O.F.S. se montre le plus malin, performant, moderne et surprenant, continuant ainsi ce que Schulmann explore depuis son premier film, qui fut d'ailleurs un retentissant succès : Et la tendresse, bordel ?


Même la critique des arts plastiques en prend pour son grade, notamment grâce au professeur incarné avec une grâce et une vis comica étourdissantes par Luchini. Je parle de Luchini mais ils sont absolument TOUS formidables (à part Schulmann, qui fait un caméo mais qui s'avère pas terrible) Ils forment tous une galerie de protagonistes dignes de ce que la bd franco-belge pouvait faire de meilleur en la matière.


Pourvu que vous dépassiez vos préjugés, ceux englobant le fait que vous allez voir une comédie couillonne des 80s (quoique, même par ce seul prisme, vous passerez un très bon moment) pour découvrir une vraie critique de société qui démontre que vitriol et bonne humeur ne sont pas insolubles. P.R.O.F.S est une comédie très drôle à plusieurs degrès, une gageure dont peu de réalisateurs peuvent s'enorgueillir. Schulmann peut s'enorgueillir, il est temps de le reconnaître, bordel !

ThibaultDecoster
9

Créée

le 29 mars 2023

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