Il y a des destins étranges qui vont à contre-courant. C'est le cas de Gareth Edwards. Le réal a succès (Rogue One, The Creator, Godzilla), films valant des millions et en rapportant encore plus, a démarré en 2010 avec une "petite production" de 94 minutes et un budget de 500 000 dollars pour une histoire de road-movie étrange et contemplatif. Monsters, malgré tout ce qu'il a fait ensuite, est sans hésitation le meilleur film qu'il ait réalisé. Et à titre personnel, ce film est dans mon top 5. Touché par la grâce, Monsters n'est pas un film de SF, ce n'est pas un film de guerre, ce n'est pas un films d'horreur... Certes, il y a un peu de tout ça dedans, mais avant tout Monsters est l'histoire d'une rencontre improbable qui va déboucher sur une histoire romantique.
Je comprends qu'un certain public, avide de bastons testostéronées et de monstres sanguinaires, se soit senti floué par ce film. La bande annonce en est la principale raison. Elle est fausse, uniquement orientée sur les quelques scènes de violence du film ; hors Monsters, ce n'est pas ça. Déjà les monstres, il faudra un peu de temps pour les apercevoir, enfin, ceux qui viennent de l'espace. Parce que bien sûr la parabole est là, présente depuis Frankenstein et même avant, quand on parle de monstre, c'est finalement vers l'humain qu'il faut regarder. Alors les monstres du film ? D'abord on contemple les dégâts, villes en ruine et un quotidien partagé par la peur et le besoin de le remplir malgré tout, après on les entend, et enfin on les voit. Je n'ai jamais vu monstre si bien imaginé d'ailleurs, croisement d'éléphant et d'un poulpe extirpé des abysses. Une lenteur désespérante pour se déplacer, et des sons plus intriguant qu'effrayant. Rien à voir avec Alien... Ce qu'ils perdent en férocité, ils le remplacent par du supplément d'âme. Je ne peux pas évoquer une des dernières scènes du film, mais elle est... D'une beauté rare.
Cela fait au moins 6 fois que je visionne ce film, et à chaque fois la magie prend, elle devient même plus forte car je relève plus de détails encore. Car outre un casting très réussi, c'est l'ambiance de Monsters qui vous touche. Une atmosphère très particulière, une tension fine, des scènes contemplatives, à la limite d'une certaine poésie visuelle. Et une enveloppe sonore parfaite en osmose avec la narration. Ce film est également un leçon de cinéma. Qu'on se le dise, toutes les histoires du monde ont déjà été racontées. Monsters n'est pas non plus une trouvaille scénaristique, c'est même basique. Deux inconnus venus de mondes différents, une rencontre, un contexte, des difficultés, et un happy-end (quoique là...). C'est simple. Là où le réalisateur doit être bon, c'est dans la façon de filmer tout ça. On ne sort pas de ce film après l'avoir vu pour la première fois en se disant "wahouuu !"; non, mais on garde en tête cette drôle de petite impression d'avoir vu quelque chose de particulier, avec une musique différente, un regard bienveillant. Une impression, comme on décrivait cette nouvelle façon de peindre au XIXème siècle. Oui, c'est ça, Gareth Edwards a accouché d'un film impressionniste. C'est rare. Et chaque fois que vous viendra l'idée de le revoir, divers sentiments positifs vont vous traverser, stimuler votre impatience. Combien de films font cet effet ?...
Un mot sur le casting ? Scoot McNairy et Whitney Able. Ils sont juste parfait. Lui en photographe un peu looser, et elle en sympathique petite fille riche, sorte de poupée Barbie qui pourtant se débrouille plutôt bien dans la jungle. La magie tient peut-être au fait qu'à l'époque ils étaient en couple. Le jeu de regards, les corps qui se penchent l'un vers l'autre, la solitude de chacun, et puis l'évidence à la sortie de cette rencontre du troisième type...
Mais c'est surtout la photographie qui l'emporte le plus comme atout du film, par Gareth Edwards lui-même. Dans un premier temps, il était question que le film soit tournée en Asie, mais, sûrement pour des questions de budgets, il sera tourné au Mexique. Le film y gagne, par de nombreuses scènes et cette ambiance mexicaine, une véritable plus-value. Ces moments suspendus, la lumière des bougies, les couchers de soleil, la vision de l'Amérique depuis le temple de maya de Yaxha, les paysages filmés depuis le train, le bateau... Tout est magnifique, jusqu'à cette traversée d'une ville US en ruine (réellement ravagée par un ouragan un peu avant le tournage), au bord du mur de la frontière. Petit gifle politique balancée comme ça, mine de rien ; non un mur ne vous protégera de rien...
Si, un dernier atout. La musique de Jon Hopkins. Je suis désolé, je vais encore employer des superlatifs simples : magnifique. A la fois fil tendu de ce road-movie, mais aussi support des moments suspendus, c'est un écrin à la hauteur des images. Bien plus fin que Hanz Zimmer qui vous assène ses envolées symphoniques de plus en plus prétentieuses, Hopkins est un compositeur qui sait jouer d'un souffle, d'une vibration, avec justesse et émotion. Pas besoin d'être grandiloquent pour imposer une atmosphère...
C'est tout cela qui fait de Monsters un film à part. Un bijou. Véritable succès inattendu, ce film a été boudé dans les salles françaises. C'est dommage, réellement, car il y a un peu de notre destin à venir dans ce film. Dans une lente traversée au milieu d'un Mexique subissant les bombardements américains, cette fable tout aussi romantique qu'écologique est le préquel d'un monde en ruines où seul l'amour peut encore donner du sens. Il y a des points communs avec Apocalypse Now (et quelques clins d'œil) dans ce road-movie, à l'instar d'un capitaine Willard qui se contente parfois d'être seulement le témoin de cette folie ambiante. Il y aussi du Terence Malik dans cette vision naturaliste. Bref, Monsters est un chef d'œuvre qui vous laissera une sensation durable.