Mother! En voilà un long-métrage ô combien mystérieux et ce, dès son titre à la simplicité redoutable. Un mystère d’autant bien gardé que Paramount n’a dévoilé le film que très peu de temps avant sa sortie, à grands renforts de communication massive mais toujours très évasive quand au réel sujet du nouveau bébé de Darren Aronofsky. Les théories fusaient alors et beaucoup ont émis l’idée qu’il s’agisse en réalité d’une nouvelle adaptation de Rosemary’s Baby, en particulier à cause de son postulat de base très similaire. Mais nous étions loin, très loin d’imaginer le choc que le réalisateur de Black Swan nous réservait vraiment.


[Note : Cette critique est garantie SANS SPOILER. Toutefois, il est fortement conseillé, voire recommandé, de voir Mother! avant de continuer la lecture, afin de préserver un maximum de surprise.]


N’y allons pas par quatre chemins : Mother! est un véritable monument imprévisible. L’idée même qu’un tel film ait pu être produit de nos jours à hauteur de 30 millions de dollars, le tout par un studio comme la Paramount, relève du paradoxe absolu. Personne ne pouvait prédire que le film serait à ce point un tel pied de nez à toute l’industrie Hollywoodienne. On a ici affaire à une déflagration monstre ayant la ferme intention de chambouler les repères du grand public en leur proposant quelque chose à l’inverse total de ce à quoi ils s’attendaient, dans un cinéma mainstream de plus en plus prévisible.


Nous suivons donc la vie d’un couple amoureux (tous les personnages sont anonymes), interprété par Jennifer Lawrence et Javier Bardem, vivant dans une immense maison perdue en pleine campagne déserte. Mais leur tranquillité se voit remuée lorsqu’un autre couple, composé de Ed Harris et de Michelle Pfeiffer, débarque chez eux… et nous nous en arrêterons là. En dévoiler davantage serait trahir l’énorme travail réalisé par Aronofsky et Paramount sur la promotion autour du film, qui aura été sans aucune fausse note jusqu’au bout.


Toute la communication fut orientée sur la première heure du métrage et uniquement sur celle-ci, laissant ainsi le champ libre à une deuxième heure folle où le spectateur n’a aucune possibilité de s’accrocher à ce qu’il aurait déjà pu voir dans les bandes-annonces. Il ne reste donc plus qu’au film de dévoiler sa véritable nature à travers des séquences chaotiques d’ores-et-déjà cultes et de littéralement martyriser le spectateur pendant tout le reste du film à base d’images traumatisantes ou autres effets-chocs.


Il faut également féliciter l’excellente écriture et mise en scène de Darren Aronofsky qui s’amuse volontairement à brouiller les pistes durant toute la première partie de l’histoire, en montant artificiellement la tension (notamment grâce à l’utilisation de quelques jump-scares volontairement très clichés) et en nous faisant croire que nous allons assister à un home-invasion digne de Funny Games. Mais plus nos théories quant à la suite de l’histoire se multiplient, plus elles finissent broyées par le scénario qui, sans crier gare, nous plonge dans le mind-fuck le plus total.


Dès lors, oubliez complètement le thriller horrifique vendu à l’origine et bienvenue en plein cœur de la noirceur de l’Homme. C’est à partir de cet instant précis que Mother! devient une expérience à part entière puisque l’on se sent littéralement piégé au sein de cette folie pure à laquelle Jennifer Lawrence doit faire face (impression renforcée par une réalisation volontairement anarchique avec cadrages très serrés et 16mm granuleux). Mais si le style global le détache certes du basique film de genre, ce qui pourrait remettre en cause la légitimité d’une critique en ces lieux, sa thématique au-delà du pessimisme et son imagerie hallucinée nous renvoie constamment à un imaginaire cauchemardesque mais toutefois cruellement réaliste, pas si éloigné d’un David Cronenberg qui aurait passé une très mauvaise nuit.


Développer davantage sur les (multiples) surprises du film serait presque vain tellement il faut le voir pour le croire. Même si le film n’est pas exempt de défauts (comme une exposition qui traîne un peu trop en longueur), Aronofsky nous transporte de tableau en tableau avec une telle frénésie et un tel lien avec son public que l’on est malgré tout profondément marqués au fer rouge par ces images psychologiquement fortes de par leur brutalité, leur imprévisibilité ou bien leur substance-même. Cette spirale infernale prend finalement fin dans un climax (une fois encore) bien loin de nos prédictions, menant à un twist final changeant radicalement notre vision de ce à quoi nous venons d’assister, tout en nous apportant une nouvelle métaphore rendant la richesse du film tout bonnement incroyable.


Mother! est ce que l’on peut appeler un film-sommet. Ce genre de film où tous les thèmes chers à la filmographie d’un auteur se retrouvent condensés en une seule et même oeuvre, pour donner un mélange détonnant et jamais vu auparavant. L’auto-destruction de Requiem For A Dream, la folie incontrôlable de Black Swan, la célébrité vénéneuse de The Wrestler, le mysticisme de NoéMother! est la synthèse parfaite du cinéma de Darren Aronofsky, qui nous offre ici son métrage le plus personnel mais surtout le plus nihiliste et jusqu’au-boutiste. Il y a de fortes chances que le film ne trouve pas son public au box-office mais nul doute que Mother! deviendra dans quelques années un futur grand classique du 7ème art.


[Critique originellement publiée sur CinemaClubFR]

TanguyRenault
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le 15 sept. 2017

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Tanguy Renault

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