Entre Terre et ciel...L'Enfer de la Création...

MOTHER ! (16,6) (Darren Aronofsky, USA, 2017, 121min) :


Un MONUMENTAL choc ! Comment qualifier autrement le nouveau long métrage du singulier Darren Aronofsky ? Depuis le début de sa carrière commencé par l'étrange Pi (1998), le réalisateur américain ne cesse de nous proposer des œuvres atypiques notamment Requiem for a Dream (2000) et Black Swan (2010), puis plus clivantes comme The Fountain (2006) ou Noé (2014) et la plupart de ses projets divisent, mais offrent toujours des séances cinématographiques marquantes pour les spectateurs curieux. Avec cette nouvelle fiction horrifique Mother !, les réactions suscitent parfois de façon irrationnelle les mêmes salves dithyrambiques ou alors un rejet de mauvaise foi. Ma foi, je dois bien avouer, sans que cela me soit reproché en péché (je l'espère...), je suis du côté des enthousiastes. Que l'on me pardonne. Je ne me range donc pas du côté des polémistes à la petite semaine qui trouvent certains arguments fallacieux (par exemple : film le plus misogyne vu ces dernières années..) pour jeter l'opprobre sur ce long métrage, alors que certains arguments retranscris avec honnêteté intellectuelle seraient tout à fait recevables. Car oui pour une fois, commençons par les défauts en essayant de pas trop spoiler ce qui pour ce film paraît un peu délicat pour en dévoiler un ressenti argumenté. Darren Aronofsky comme souvent dans ces fictions ne lésine jamais sur le fait de surligner ces thèmes d'un symbolisme toujours trop appuyé, la subtilité n'est pas de mise chez lui. Ici son amour du jusqu'au-boutisme offre là encore des scènes qui sont à la limite du grotesque où l'accumulation de symboles et d'effets peut provoquer une overdose et un chemin de croix chez certains, par ce trop plein et sa relecture personnelle de l'Ancien et du Nouveau Testament. Alors voilà de quoi avoir matière pour eux à enfoncer le clou ! Je me range donc encore, sans idolâtrie, du côté du créateur Aronofsky. J'aime à nouveau sa frénésie, sa fascination pour le pouvoir du cinéma qui lui permet de tout faire et sa confiance en l'intelligence du spectateur. Darren Aronofsky provoque mais jamais ne triche. Dans cette nouvelle création, sorte de film-somme déroutante, le réalisateur se livre d'une manière totalement impudique, entre doute créatif, mégalomanie destructrice, obsessions mystiques et divers tourments existentiels, comme pour une future renaissance de l'homme Darren et de l'artiste Aronofsky. Après "Mother !" tout ne sera plus comme avant...Pour cette œuvre charnière, le metteur en scène ferme les portes, pour installer d'entrée de jeu un huis clos oppressant, mental et physique. L'unité de lieu a pour cadre une grande demeure à étages, où la caméra à l'épaule assez mouvante se déplace comme dans un vrai labyrinthe sorte de pendant mental à l'héroïne qui semble isolée de son mari qui a des affres créatifs. Le long métrage débute comme un thriller psychologique où la Mother semble avoir des troubles et des visions surnaturelles, en totale communion avec la maison. On découvre une âme tourmentée à laquelle la maison semble lui répondre par de nombreux bruits. Le travail sur le son et l'amplification des moindres bruissements, bruits de parquets, poignées de portes, multiples grincements etc est d'une précision diabolique et engendre judicieusement le malaise. Afin d'accentuer l'inconfort le cadre se serre très près du visage de Jennifer Lawrence comme pour mieux l'enfermer et l'étouffer alors que les autres personnages peuvent respirer. La mise en scène tourbillonnante devient tout au long du film de plus en plus démente et nous fait comprendre à travers les murs, que la demeure et Mother sont unis intimement. L'œuvre se transforme alors de manière beaucoup plus métaphorique sur les diverses créations, qu'elles soient artistiques, naturelles ou religieuses. L'arrivée de premiers intrus pénétrant dans la maison va renvoyer très (trop) explicitement aux récits de la Bible. Pour Mother, l'enfer c'est les autres, l'inquiétude grandit et l'angoisse devient hystérique lors de séquences cyniques et les situations deviennent peu à peu de plus en plus terrifiantes. Le dernier tiers du film est tout simplement un éprouvant voyage au milieu du chaos de l'humanité où la maison devient champ de bataille, terrain de guerre, comme rarement vu au cinéma, tant la puissance dramatique des images violentes du cinéaste et tant le jusqu'au-boutiste dense nous emmène très loin dans l'inhumanité où le fanatisme règne jusqu'au sacrifice lors d'un final limite insoutenable. Une plongée baroque et absurde dans l'antre de la folie portée par une viscérale et étonnante Jennifer Lawrence, faisant corps avec ses effrois, accompagnée par un casting 5 étoiles prestigieux dont Michelle Pfeiffer, Ed Harris et Javier Bardem (alter égo du cinéaste et Créateur divin..). A noter l'absence de partition musicale (une première pour un film de Darren Aronofsky dont les BO de ses films sont souvent cultes) engendrant un malaise plus conséquent par rapport aux moindres tumultes. Une impressionnante fable métaphorique convoquant Rosemary's Baby de Roman Polanski (1968), Misery (1990) de Rob Reiner, Possession (1981) d’Andrzej Zulawski ou encore Shining (1980) de Stanley Kubrick alimentant ce jeu de miroirs prophétique et cette mise en abîme de l'acte de création. Presque 48 heures après avoir reçu la claque Mother !, tant d'images dérangeantes continuent de hanter régulièrement mon cerveau déstabilisé, qui se nourrit pourtant régulièrement de ces expériences cinématographiques radicales...Un long métrage extrême qui va marquer durablement les esprits. Venez pénétrer à l'intérieur de cette maison et de vos propres obsessions au cœur de Mother ! Ici, bienvenue en enfer...Hallucinant. Fascinant. Cauchemardesque. Puissant.

seb2046
8
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le 15 sept. 2017

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seb2046

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