Je n'ai pas pour habitude d'écrire des critiques ciné, préférant garder mon ressenti à l'intérieur ou le partager oralement. Mais dans le cas de Mother! c'est un peu différent - de un le ressenti est trop fort, de deux la vague de haine suscitée par le film m'encourage à le défendre, ou au moins à donner envie aux autres de se faire son propre avis.


Mother! m'a littéralement collé au siège et mis mal à l'aise pendant deux heures, là où d'autres (une bonne majorité il faut le dire) ont eu l'impression de regarder un mauvais épisode de D&CO. J'avoue ne pas comprendre comment un tel écart de ressenti est possible. J'avoue ne pas comprendre comment des spectateurs ont pu rire de moments qui m'ont littéralement tétanisé. La magie du cinéma sans doute. Reste que Mother!, qu'on aime ou qu'on déteste, est une expérience qui mérite d'être vécue. Parce que le film ne ressemble à aucun autre film ayant déjà été fait, si ce n'est éventuellement un Rosemary's Baby sous stéroïdes. C'est un OFNI à la lisière des genres, une proposition totale, impossible à ranger dans une case (tant mieux !), engendré par tout et qui probablement n'engendrera rien. Aronofsky n'a fixé aucune limite à l'éventail de ses possibles, il se permet tout pour imager son propos, et pour livrer des séquences d'une folie furieuse que nous ne verrons peut-être plus jamais au cinéma. C'est outrancier, c'est grotesque, c'est même irréaliste au possible, mais c'est d'une force et d'une richesse allégorique fascinantes, à tel point que les grilles de lecture de Mother! semblent infinies. C'est un cauchemar éveillé. C'est une intimité violée, filmée comme un film d'horreur. C'est la décadence d'un couple sur fond de fin du monde. C'est Dieu et c'est une ode à la création, puis c'est Satan et c'est un chant du chaos. C'est Adam et Eve qui débarquent dans le jardin d'Eden. C'est la Terre mise à sac par l'homme dans toute sa gratuité. C'est une muse dépassée par son poète ingrat. C'est l'expression d'un cycle infernal de l'existence. C'est tout ça à la fois, et c'est encore bien d'autres choses. À croire qu'en proposant à chacun d'y voir ce qu'il voulait y voir, personne n'y a finalement rien vu.


Contrairement à Black Swan du même Aronofsky (avec lequel il partage d'ailleurs pas mal de similitudes) et à la quasi-totalité des films au postulat similaire (j'entends par là les drames à base réaliste qui pour x raisons virent dans le surnaturel), il n'y a aucun basculement fantastique dans Mother! Si le cadre lui est réaliste, les premiers plans, les premières péripéties appartiennent déjà au domaine de la pure métaphore. De là, rentrer dans l'oeuvre demande une abnégation et une suspension d'incrédulité bien supérieure à celle que peut demander habituellement un film de genre. C'est ce qui sans doute dessert le plus le film (ou plutôt, ce qui a laissé le plus de monde sur le carreau) : cette façon qu'il a d'être une métaphore entière et complète de ce qu'il raconte et de ce qu'il montre, sans jamais faire appel au réel, sans jamais permettre au spectateur de se raccrocher à quoi que ce soit de vrai, de sensé, de rassurant. Et c'est aussi en cela qu'il est une vraie expérience de cinéma, une comme on en fait trop peu. Déconcertante pour certains et précieuse pour les autres, mais qui fait se dire à tous en sortant de la salle "putain mais qu'est-ce que je viens de voir là".


Donc toi spectateur mécontent et outré criant "remboursé c'est une honte", non, Mother! n'est pas une honte, pas plus qu'il ne mérite une telle averse de haine. Parce que Mother! te tend continuellement sa main. Une main grossière, sale, épineuse, mais il la tend, sans te la prendre de force. Et un film qui t'invite à un tel investissement personnel - faire fi de tout et passer de l'autre côté de la barrière - quitte à ce que tu te refuses complètement à lui, qui ne te prend jamais par la main mais te raconte son histoire en te laissant le choix de voir en lui ce que tu as envie d'y voir (ou de ne pas y voir), n'est pas un film qui se fout de toi bien au contraire. C'est un film qui te respecte profondément en tant que spectateur. Et un film qui te respecte mérite a minima le tien.

Daviden
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le 18 sept. 2017

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Daviden

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