Morsures

Montant en puissance dans le silence, patient dans sa mise en place, redoutable lorsqu'il sort les crocs, Mud est un film semblable au serpent qui orne le bras du personnage en apesanteur qu'il dépeint. Aussi hors du monde qu'il l'habite de sa présence, il permet à Nichols de nous offrir sa troisième pépite, aussi personnelle que les précédentes. Dans la lignée de Shotgun Stories et Take Shelter, il met au service d'une histoire simple mais touchante son habileté à dépeindre ses semblables, ainsi qu'à donner aux lieux qu'il met en image une immédiate authenticité. Et quand le générique de fin montre combien ce film s'est fait avec simplicité, on ne peut qu'être touché par ce savoir faire constitué d'un coup d'oeil qui frôle le génie et d'une direction d'acteurs virtuose.

Parce qu'à l'instar de ses deux premiers film, Mud est avant tout un film de personnages, d'acteurs. Tous sans exception portent ce récit initiatique au sommet du genre par leur naturel à toute épreuve. Pour preuve ces deux gamins, qui nous font oublier leur âge autant qu'ils nous le rappellent, au rythme du beat maîtrisé qui dicte le récit. Difficile de trouver justesse si parfaite lorsque des enfants sont de la partie, Nichols semble posséder ce don de porter ses acteurs où il le souhaite. Ce n'est pas Matthew McConaughey qui me fera mentir, ce dernier nous gratifie, après son excellente performance dans l'une des plus belles surprises de l'année dernière, d'une partition exemplaire, en trouvant le parfait équilibre entre grain de folie et retenue dans ses attitudes. Magnétique, il l'est une nouvelle fois et c'est tout ce dont avait besoin ce MUD, personnage central, omniprésent dans les esprits même lorsqu'il n'est pas dans le cadre. Et quand les seconds rôles sont également de la partie, de l'excellent Sam Shepard à la délicieuse Reese Witherspoon qui n'a jamais été aussi belle, on ne peut qu'être respectueux devant un tel talent de chef d'orchestre. Nichols est doué avec ses semblables, il sait en tout cas user des bonnes ficelles pour leur faire donner le meilleur.

Bien entendu, savoir mener sa barque sans destination mène droit sur les récifs. En bon capitaine, le cinéaste sait parfaitement où il va et sans compliquer son histoire inutilement, lui insuffle bon nombre de pistes qui nous permettent d'être sans cesse en alerte, à l’affût de ce qui se trame. A travers les yeux de cet adolescent au fort tempérament, Nichols livre un conte magique sur le passage à l'âge adulte, dont les femmes, et l'amour, sont les pièces centrales. Aucunement moralisateur, sans cesse en ballottement entre différents points de vue, peut être un peu marqué par cette quête délicate de compréhension entre homme et femme, MUD touche et lance la réflexion, pour la conclure avec une légèreté agréable qui imprègne sur les visages un sourire qui dure longtemps après la séance.

MUD est de la trempe de ces films qui nous rappellent ce qu'est le cinéma. Un concentré d'émotions qui donne aux images toute la puissance qu'elles peuvent revêtir. Nichols est à mon sens l'une des personnalités les plus marquantes en activité actuellement, et après trois films semblables dans leur beauté formelle, mais tous particuliers dans ce qu'ils ont à proposer, il est certain que son prochain bébé sera sur ma liste des plus attendus.