Constantin Costa-Gavras est un réalisateur de cinéma franco-grec, ou gréco-français, comme il vous plaira. Vingt films à son actif, producteur lui-même parfois, scénariste souvent. Une vie consacrée au cinéma, au cinéma engagé. Une vie passée à nous inviter à réfléchir sur le pouvoir politique, sur ses dérives, mais également sur sa nature, une vie dans laquelle se sont croisés pour le meilleur Simone Signoret, Yves Montand, Jacques Perrin, Jorge Semprun, Jean-Louis Trintignant et bien d'autres. Une vie à nous réjouir mais également à nous inviter à regarder le monde avec gravité.


Z est le premier film de Costa-Gavras que j'ai vu. C'était en 1969. L'année suivante, j'ai vu l'Aveu. Depuis ce temps, j'ai regardé tous les films qu'il a réalisés et, à intervalle régulier, je les revois, toujours avec le même intérêt même si parfois ils ont quelque peu vieilli ; toujours avec la même émotion, même si des centaines d'autres films de grande qualité les ont parfois supplantés dans ma mémoire.


Music Box a été réalisé en 1989 aux Etats-Unis, sur un scénario de Joe Eszterhas, journaliste d'origine hongroise. L'histoire racontée est une fiction s'appuyant sur des éléments autobiographiques de son initiateur et de l'affaire John Demjanjuk qui avait fait grand bruit en 1977. Il avait sévi dans le camp de la mort de Treblinka avant de trouver refuge aux Etat-Unis en dissimulant son passé.


Mickaël-Mike Laszlo/Armin Mueller-Stahl est entré aux Etats-Unis en cachant son appartenance aux «  Croix fléchées ». Il a en effet commandé une unité de police coupable d' exactions et de meurtres de masse de tziganes et de juifs, dès la prise du pouvoir à Budapest par le chef de celles-ci en octobre 1944. Mais la biographie officielle de Mischka Laszlo faisait de lui un simple fonctionnaire administratif de la police de Budapest, totalement étranger à ce qui se passait sur les bords du Danube jalonnés de lieux d'exécutions.


Il est désormais citoyen américain, affichant en apparence un respect à toute épreuve pour sa patrie d'adoption, y compris pour ce qui est de son anti-communisme le plus primaire. Bon ouvrier et bon camarade de travail, il a élevé seul deux enfants, dont une fille devenue brillante avocate. Son meilleur alibi et sa couverture la plus efficace est cette vertu qu'il aime afficher.  Il va avoir besoin de sa fille et de ses talents, car une enquête sur son passé cheminait sans bruit et est sur le point d'aboutir. Mickaël Laszlo a été reconnu comme le Mischka qui dirigeait l'action d'une brigade de policiers arborant l'insigne des nazis hongrois et procédant à des rapines, des viols et des exécutions sommaires à Budapest.


La justice hongroise réclame son extradition afin de le juger pour ses crimes. Les Etats-Unis n'extradent pas leurs nationaux, mais s'il s'avérait que Laszlo est bien le fameux Mischka, cela signifierait qu'il a menti dans la biographie produite pour obtenir la nationalité américaine. Il pourrait de ce fait être déchu de sa nationalité et être remis aux autorités de son pays d'origine.


Les témoignages sont accablants et Ann Talbot-Laszlo/Jessica Lange, sa fille et son avocate, va user de toutes les ressources que lui offre la procédure. Tentative de discréditer les experts, essai de faire douter de la pertinence des dépositions des témoins à charge, dénonciation sur les liens qu'ils entretiendraient avec des communistes, insinuations diverses quant à la crédibilité du procureur et l'objectivité d'un président de Cour de confession israélite. Tous les moyens sont bons.


Si l'accusation apporte des preuves de la culpabilité de Mischka Laszlo, la défense charge une détective de mener une contre-enquête pour instiller le doute et même jeter le discrédit sur l'accusateur. L'affaire conduit le tribunal à se déplacer à Budapest pour entendre un dernier témoin dans l'incapacité de se déplacer.


La force du thriller réside bien sûr dans ces affrontements qui ont le prétoire pour cadre. Nous sommes suspendus aux lèvres des différentes parties de l'affaire quant à l'issue du procès nous tient en haleine. le suspens quant à l'issue du procès nous tient en haleine. Peu à peu c'est le drame intime que nous devinons chez Ann Talbot-Laszlo qui retient l'attention. Derrière la détermination et la rudesse de l'avocate, ce sont les interrogations de la fille qui affleurent et Jessica Lange interprète cette montée du doute avec talent.


Mischka Laszlo sera blanchi des accusations qui pesaient sur lui et ne sera par conséquent pas extradé. Ann se rend pourtant à Budapest à son tour, autant poussée par un doute lancinant que par les zones d'ombre apparues dans la vie de son père. Elle y fera une rencontre qui se révèle décisive. A son retour de Budapest, elle entre en possession de la preuve que son père était bien la brute abjecte que les témoins de l'accusation dénonçaient.


La jeune femme  revit  les affres que Joe Eszterhas, le scénariste du film, a connues quand son père a fait l'objet d'une enquête du département américain de la Justice. Fiction et réalité se rencontrent un court instant. Elle aime son père, mais désormais ne veut plus jamais le revoir et entend soustraire son jeune fils Mikey à l'influence de ce grand-père de la honte. Ce qui est loin d'être acquis.


A travers son beau-père Harry Talbot, lui-même avocat et successivement membre de l'OSS (Office of Strategic Services), puis de la CIA, c'est une Amérique peu regardante sur le passé de certains émigrants qui se dessine. En 1945, le service repérait et accueillait les anciens nazis susceptibles d'apporter une utile contribution contre l'Union soviétique, puis d'être utilisés contre la subversion communiste en Amérique latine. Beau-papa aurait même fréquenté Klaus Barbie quand celui-ci conseillait la police politique du dictateur Hugo Bantzer Suarez en Bolivie.


Ana Talbot-Lazlo transmettra les preuves photographiques montrant l'ignominie de son père au procureur avec qui elle ferraillait pendant le procès. Joe Eszerhas quant à lui a refusé, et l'a regretté, de revoir son père jusqu'au décès de ce denier.


Le titre original du scénario était Sins of the fathers. Les péchés des pères, titre qui nous invite à nous interroger sur une question lancinante et intemporelle : sommes-nous responsables de ce que nos pères ont pu faire ? Plus largement, la famille doit-elle payer pour les actes commis par un de ses membres ?


Dans les régimes totalitaires quels qu'ils soient la réponse est affirmative et joue un rôle d'intimidation pour tuer toute velléité de résistance. Dans une démocratie, la réponse est négative car la responsabilité, donc la sanction, sont individualisées.


Ce titre plaçait le film au centre du trouble de Joe Eszeterhas quand il a découvert que son père professait un antisémitisme virulent en Hongrie pendant la seconde guerre mondiale. Ce trouble avait été un élément déclencheur du projet mais la question de la responsabilité dont les enfants seraient les héritiers n'est pas directement traitée dans le film. Music box (Boîte à musique) sera le véritable titre du film, il fait référence à un objet anodin qui participera à la révélation de la vérité.


De tout temps, des hommes et des femmes ont quitté leur pays pour construire une vie nouvelle. Parfois c'est en raison d'une situation dangereuse et intenable dans leur propre patrie, parfois c'est la pauvreté et la misère qui les font fuir, quelquefois c'est simplement la curiosité ou une force vers l'ailleurs qui les pousse. Parmi ces réfugiés ou ces immigrants, peuvent se dissimuler des fugitifs qui ne cherchent qu'à se soustraire à la justice de leur pays.


Un film qui traite d'un sujet sensible entre presque toujours en résonance avec l'actualité. Alors laissons résonner librement en nous Music Box de Constantin Costa-Gavras.


Tous les hongrois, ukrainiens et d'autres qui ont trouvé asile aux Etat-Unis n'étaient pas des suppôts du nazisme, loin s'en faut. Tous les syriens, afghans, irakiens qui cherchent refuge en Europe ne sont pas un danger pour les pays qui les accueillent. Tous les immigrants rwandais ne sont pas venus en France ou en Belgique pour dissimuler leur participation aux exactions commises chez eux. Pour être plus net encore tout étranger venu vivre sur le territoire français, quelle que soit sa confession, n'est pas un terroriste en puissance même si certains l'affirment haut et fort.

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le 25 avr. 2021

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