"Je t'aime Mamie mais t'es une arriérée !" - Inventaire efficace, fiction empêchée

C'est un film aux promesses fortes, car basé sur l'enfance vécue de la réalisatrice, Eva Ionesco et sa relation avec sa mère Irina. Elle lui doit sa célébrité précoce grâce à des photos nues immortalisant son corps de fillette. La photographe est jouée par Huppert, parfaitement appropriée pour ce personnage mégalo, excentrique, lui donnant l'air d'une fausse extravertie de service. C'est une révolutionnaire individualiste, dans le refus des carcans, de considérer la honte et les conventions. Elle cherche à se distinguer de la plèbe et ne se soucie pas d'être aimée ou respectée, sauf dans les sérails 'avertis' au goût sûr ou téméraire. Sa mère, donc la grand-mère d'Eva, est un anti-modèle : conventionnelle, superstitieuse et phobique, une de ces 'petites gens' étriqués (elle est demeurée roumaine).


My Little Princess ne valide jamais Irina/Huppert et a des côtés réacs (sûrement 'automatiques' ou par déduction) rappelant Lafosse (Élève libre, L'économie du couple). Il est aussi pesant, répétitif, presque poussiéreux (sans doute pour déglamouriser la chose et amplifier le malaise – l'obscénité du Livre de Jérémie est loin). Le film est clair (des laïus toujours très synthétiques) mais semble avoir peu à déclarer et à injecter, comme s'il fallait rester près d'une vérité et l'engloutir de banalités, ou d'une pudeur appuyée, pour ne pas l'entamer. La rancœur s'affiche mais ce qu'elle a d'intime reste protégé. Le propos évolue peu, s'adapte au gré des faits cruciaux. Les ambitions esthétiques en sont affectées : l'ambiance est supposée proche de Body Double et de Mario Bava (La planète des vampires, Le masque du démon), à l'écran ce n'est pas évident. Et Huppert est une héritière bien rachitique de Bette Davis (la butch des studios). Son aspect sombre, prédateur, est moins éclatant que ses turbulences. Elle semble se débattre pour ne pas fondre en larmes ou basculer dans la sinistrose – quelque soit les effets dopants de ses fantaisies et de sa passion pour les femmes plutôt 'fatales' de l'âge d'or hollywoodien.


On voit tout de même la mini-adulte pratiquer l'introjection et un combat s'engager entre les deux artistes. Eva est plus soucieuse d'élitisme (et de séduction) que de provoquer et s'imposer brutalement. Elle soigne son magnétisme. Consciente d'attirer, consciente de l'infériorité de sa propriétaire, elle devient débordante de cynisme, en même temps se sent de plus en plus malheureuse. Sa sensibilité se développe, jusqu'à la faire devenir anxieuse et agressive puis refuser les nus. Dans la suite, pas hors-champ mais bien dans la vraie, la petite Eva est devenue une actrice (en commençant par des œuvres où elle a pu affiner sa vocation assistée : Jeux interdits de l'adolescence et Spermula). Le film préfère tirer sa révérence sur l'errance d'Eva pendant son adolescence. Jusqu'au-bout il se sera caché derrière des ambiguïtés qu'il autorise juste à effeuiller [pas à déflorer] en prétendant être une fiction avant tout.


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le 2 nov. 2017

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Zogarok

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