Il aura fallu plus de quatre ans d’attente, depuis la promesse de 2011, pour que le fantasme des fans soit réalisé. Voilà, le groupe iconique du Gangsta Rap N.W.A., les Niggaz Wit Attitudes, ont enfin droit à leur biopic. Il était temps.


Des pourparlers, des faux espoirs, des idées qui se sont envolées et une bonne dose de secrets. C’est, pour résumer grossièrement, le feuilleton qui a animé le tournage de ce N.W.A. – Straight Outta Compton, amputé du nom du quintet légendaire de la banlieue de Los Angeles dans sa version originale. On dit souvent qu’un biopic tombe à plat si l’histoire dont il traite n’est pas extraordinaire. C’est peu dire si l’ascension du groupe l’est.


Paumés depuis un quartier qui inspirait alors davantage l’inquiétude des élus politiques bien-pensants plutôt que la hype commerciale et médiatique d’aujourd’hui, il semble que le monde regarde de haut le quintet original – quand il ne lui tourne pas tout simplement le dos. L’histoire des N.W.A., c’est avant la musique, avant la célébrité, avant les conflits, l’histoire d’un coup de crosse (fader) dans les dents acérées de la fatalité. Calé sur un beat G-Funk, on ne peut pas refuser.


Il fallait un réalisateur de confiance à Dre et Ice Cube, producteurs exécutifs et gourous du projet, pour confier l’histoire de leur vie au grand écran. Dites bonjour à F. Gary Gray, connaissance de longue date d’Ice Cube puisqu’il était déjà derrière la caméra du temps du mythique « It Was a Good Day » ou « Natural Born Killaz ». Côté long-métrage, l’Afro-Américain s’était déjà fait la main dans le punchy avec Le Négociateur en 1998, le funky Be Cool (où apparaît pour la première fois André 3000 au cinéma) et le surprenant Que justice soit faite en 2009 avec Jamie Foxx.



COMPTON AU COMPTE-GOUTTE



L’homme de main choisi, voilà le temps de former son équipe de choc. Sacrée pression qu’Ice Cube est allé mettre sur les épaules de son fils, O’Shea Jackson Jr., interprétant le rôle de son père. Si l’acteur a confessé être dans un premier temps mal à l’aise sous les traits de son daron, force est de constater que le petit s’est approprié son rôle jusqu’à reproduire à la perfection la férocité légendaire de son père, aux moindres moues près. Également iconiques, Corey Hawkins (Dr. Dre) et Jason Mitchell (Eazy E) proposent des prestations ultra-solides, parfaits lorsqu’ils viennent leurs séquences de gloires, mais parfois un peu en retrait lorsque le rythme est un peu plus tassé. Plus en retrait, Neil Brown Jr. (DJ Yella), Aldis Hodge (MC Ren) et Marlon Yates Jr. (The D.O.C.) servent de faire-valoir. Rien de plus. Il faut dire aussi que le scénario leur laisse peu de marge de manœuvre. Tous ont pourtant réinterprété ensemble l’intégralité du premier album des N.W.A. pour trouver l’alchimie du groupe. Sacrée méthode d’immersion.


Puisqu’il se doit de tenir sa réputation de film coup de poing, N.W.A. – Straight Outta Compton entre directement au cœur d’une trap house, ces maisons de drogue abandonnées, y voir Eazy E dans une situation délicate. Celle d’un deal qui tourne court, d’une descente qui tourne mal. Pas de doutes : ce biopic ne traite pas d’enfants de chœur. Avant de connaître les lumières de la ville, F. Gary Gray prend le temps d’explorer la crasse initiale dans laquelle chacun des membres se trouve. Drogue, déceptions familiale, témoignages de la violence ordinaire : tous bâtissent frustrations après frustrations. Surtout, tous se donnent des raisons d’aller voir ailleurs.


Face à leur talent, à l’engouement du public et avec le coup de pouce d’un producteur malin, dans les deux sens du terme, ils ne tardent pas à aller voir plus loin que leur district. Rapidement, le groupe fait le tour des USA, prêchant la bonne torgnole. Compton devient davantage un état d’esprit porté par les rappeurs qui en sont originaires, une légitimation de leur message et de leur violence plutôt qu’un terrain scénique. Pour ceux qui cherchent en Straight Outta Compton un documentaire sur les travées narcotiques et poisseuses de l’univers urbain de la ville, il faudra repasser.



UN COUP DE MOU CHEZ LES DURS ?



Au fur et à mesure que le succès grandit, les menaces aussi. Elles sont intérieures, pour de sombres histoires de contrats et de gros sous tirées à gros traits – Ice Cube, auteur de la plupart des textes, n’aurait pas perçu la compensation pécuniaire espérée. La faute à la gourmandise d’Eazy E, et de sa confiance aveugle en un manager faussement conciliant, plutôt grippe-sou une fois les illusions abattues. Parfois, c’est ce soudain décalage entre le hood et la vie de millionnaire qui a raison de certains esprits. Fêtes géantes et sauvages, confrontations avec la police et déclarations choc contre les médias : un train de vie qui ne laisse aucune seconde de répit aux N.W.A.


Les dangers sont aussi extérieurs, avec des forces de l’ordre et un gouvernement forcément dépeints férocement. On en attendait pas vraiment autrement de la part des auteurs du controversé « Fuck Tha Police ». Puis les rivalités naissent, notamment après le départ d’Ice Cube. Les compétitions lyriques interposées offrent un des meilleurs temps du film, avec la réaction de chacun des crew et la hargne vraie d’un temps où un beef avait une signification personnelle et non médiatique. En prison depuis son homicide en janvier, Suge Knight, pas forcément le meilleur ami des deux producteurs, en prend enfin pour son grade. Straight Outta Compton dépeint un personnage violent, aux valeurs morales et éthiques absentes. Un Lucifer qui a séparé Eazy E et Dr. Dre, responsable de tous les maux, apôtre déchu et perverti. On aurait aussi aimé que le procès de Rodney King, cet Afro-Américain battu à mort et dont l’absence d’inculpation contre les policiers responsables soit encore davantage traité qu’il ne l’est au sein du film. Le parallélisme entre la violence sociale et celle clamée par le groupe redonne un coup de dramaturgie bienvenue. Il ne reste plus qu’à N.W.A – Straight Outta Compton de se clôturer, à la manière des grands récits Scorsesiens, sur la déchéance d’Eazy E, sur la réussite de Dre et d’Ice Cube avant leur réunion finale. Sauf que ce premier a contracté le Sida de ses folies nocturnes passées et n’en a plus que pour quelque mois. Finalement, les frères retrouvent leur alchimie le temps d’une hagiographie funèbre.


Le spectateur l’aura définitivement compris. Il l’aura même senti, pour les connaisseurs, depuis une bonne partie du film. Dre et Cube ont édulcoré leur histoire, l’ont simplifié pour mieux la contrôler. Parfois jusqu’au point du paradoxe, où les paroles de leurs chansons sont rarement traduites à l’écran, ou de manière superficielle, voire hors-champ. Peu de sang, de sexe, de coke seront affichés en gras, en gros, en contraste, comme les étiquettes Parental Advisory qu’ils ont contribué malgré eux à démocratiser. Le puratinisme américain et 20 ans dans les dents auront-il eu raison de la fibre explicite de N.W.A. ? Peut être un peu. Il n’empêche que si le biopic n’a pas la profondeur sociale de Menace II Society ou Boyz N The Hood ni le réalisme émotionnel d’un 8 Mile, il possède sa puissance à lui. Celle d’une vérité sociale qui a su s’imposer sans jamais réellement dévier sa verve. Et puis, entendre l’Amen Break pitché de « Straight Outta Compton » remasterisé à fond dans une salle de cinéma, c’est une raison suffisante de laisser 10 balles s’envoler. Par la nostalgie ou par la découverte, les portes de Compton vous sont radieusement ouvertes.


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le 22 oct. 2015

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