Naïs est une curiosité de Pagnol en adaptant sous le soleil de la Provence, la noirceur d'Emile Zola. Une nouvelle de 1883 dont Raymond Leboursier qui en a acheté les droits n'avait pas bien vérifié le caractère peu commode du cinéaste qui tournera le film pratiquement à lui tout seul.

Pagnol aura certainement trouvé dans cette histoire, matière à continuer ses portraits des mœurs paysannes, de fracture sociale, de conflits familiaux et de grandes histoires d'amour contrariées. De l'Estaque chez Zola, qu'il connaissait pour s'y être reposé à plusieurs reprises -petit port proche de Marseille que ceux qui connaissent, connaissent aussi les estancots aux savoureux beignets-, Pagnol choisit la ville de Cassis et ses hauteurs, où malheureusement la copie de la pellicule au flou ambiant nous frustrera sur les grandes étendues marines. Et tout comme pour Giono il détourne l'aspect sombre du récit, par une résolution plus optimiste, par le verbe aux accents méridionaux et un humour inhérent à sa filmographie. Il en ressort un décalage qui rend l'ensemble parfois bancal. Ses fameux monologues habituels y seront longuets et on aura aussi un peu de mal avec la musique de Scotto à introduire le suspense  avec les mêmes notes et le calme revenu, de la même manière.

Le regard pittoresque laisse la place à une narration plus pesante mais le drame se révèle surtout par le personnage de Toine le Bossu. Ce fameux bossu qui dans l'imagerie collective est le sage, celui qui dit la vérité et expose la réalité. La réalité, Toine la prendra en pleine figure par son amour sans faille pour Naïs, auquel il ne pourra jamais prétendre. Fernandel en second rôle d'importance, est cet éternel grand cœur, au sacrifice constant, qui rappellera au Saturnin d'Angèle, l'ami indéfectible, ou à Philippe de La fille du puisatier, lorsque, face au rejet, il fera preuve de toute la philosophie nécessaire.

Complice des deux amants par compassion et un peu par la force des choses, on peut alors découvrir tout le talent de Fernandel dans les rôles que lui aura donnés Pagnol. Il exprime l'adversité de sa condition avec finesse et malgré quelques grimaces, de celui qui sera toujours seul et mal aimé. Desservi par la nature, tout l'amour maternelle ne pourra effacer le malheur de toute une vie. Toine en bon romantique rêveur lira les aventures du duc de Lauzun, grand séducteur et pourtant bossu de la cour de Louis XIV, dont il fantasmera la vie sans en avoir le même succès. Et pourtant on sera surpris d'un dialogue bien maladroit, pour une femme, laide, dont il ne peut plus souffrir la présence... C'est bien toujours le reproche que l'on peut faire à Pagnol où les femmes ne sont désirées que par ce qu'elles apportent de rayonnement à ceux qui les auront conquises.

Naïs (Jacqueline Bouvier-Pagnol) sera elle, bien plus révoltée (toute proportion gardée) que ses héroïnes habituelles. Elle remplace la mère décédée, travaille à l'usine et à la ferme et n'aura aucun avenir si ce n'est celui de rester auprès de son père -et d'être l'instigatrice de ses ébats amoureux avec Frédéric (Raymond Pellegrin), le fils de ses patrons-.

Henri Poupon pour le père Micoulin, est un homme violent, que l'on ne verra pas non plus battre sa fille ici, et qui n'aura pas cet aspect bougon, maladroit et bienveillant qu'on lui connaît, à l'amour filial débordant. Par sa hargne sournoise, c'est la crainte du temps qui passe, la solitude à venir et la perte des traditions quand il ne sera plus là qui le pousse à vouloir garder sa fille rien que pour lui.

Leurs échanges étonnent par la liberté de ton et permet au cinéaste de s'égarer légèrement tout en rendant hommage à l'émancipation. On retrouve les conventions sociales d'antan et la destinée de ces jeunes filles naïves et plein d'étoiles dans les yeux, qui ne pouvaient qu'être mariées pour s'évader. Tout comme Ozu à peu près à la même époque, qui révélait bien souvent la société patriarcale où l'on remplace le père par le mari et qui pourrait même rejoindre le défaitisme de Giono lorsqu'il dira que tout est assez triste, mais si ordinaire. Que seuls les hommes sont capables de tout détruire. Même la mort fait l'objet d'un oubli naturel. La destinée de Micoulin, sans trop de bruit non plus viendra le confirmer.

Mais la découverte de la trahison de sa fille, le verra prêt à assassiner, par de multiples tentatives, celui qui risque de la déshonorer pour mieux en balayer en même temps, ses patrons abusifs. Ceux qui ne connaissent rien au travail de la terre et au labeur de tous les jours, peu respectueux de leurs métayers. Germaine Kerjean et Henri Arius seront eux, le portrait de l'aveuglement des nantis plutôt que véritables malveillants et adoucissent encore la narration bien plus légère qu'attendue. Et Frédéric, ce fils de bourgeois, oisif, joueur, coureur de jupons souligne parfaitement l'insouciance de l'âge, que le poids d'une famille qui attend du fils unique, à peine sorti de l'adolescence, une grande carrière.

Tout est donc bien là du cinéma de Pagnol qui réussit à donner leur place à chacun des personnages.

A une époque où le cinéaste ne pouvait que compter sur ses collaborateurs et amis, il offrira le rôle et sa première collaboration à Raymond Pellegrin à peine 20 ans et à Jacqueline Bouvier qui laisse planer comme un vent de perplexité. Non qu'elle ne cadre pas avec le cinéma de Pagnol mais bien justement parce qu'elle vient rejoindre les caractérisations des personnages de Josette Day ou d'Orane Demazis et rend une jeune fille plutôt fière mais passive que rebelle. D'autant que la Naïs de Zola, brune et brune de peau, révèle par ses traits, une force de caractère, que l'on va quand même regretter.

limma
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le 21 déc. 2022

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