Napoléon
5.1
Napoléon

Film de Ridley Scott (2023)

Si la figure de Napoléon Bonaparte est, dans l’histoire française comme celle du monde, incontournable, ce film ne l’est pas pour autant, car je ne sais même pas s’il mérite la moyenne. Revenons à la base.

Si le film aborde un sujet historique, il n’a nullement l’obligation de suivre exactement les faits. Evidence pour certains, blasphème pour d’autre, Ridley Scott, en tant que réalisateur et auteur de son métrage, a pour obligation de nous proposer une jouissance esthétique, et le sujet qui nous procurera ce plaisir est de son libre choix, même s’il s’agit d’une figure historique. L’avantage d’un tel procédé, c’est qu’on peut nous inviter à la remise en question sur certains enjeux en abordant une figure apparemment connue pour lui montrer d’autres facettes. Ainsi, l’auteur peut procurer des sensations qui dépassent celle d’un cadre strictement rigide.

Mais si l’auteur a la liberté d’adapter son film, et donc l’histoire, il est légitime de questionner et critiquer les choix faits. En ce sens, j’ai tendance à contester l’idée de présenter Napoléon comme un tyran, non parce que je pense qu’il doit être idolâtré, mais parce que je me questionne sur l’originalité d’une telle démarche ; qu’est-ce que Ridley pourrait apporter de si neuf au personnage, et au spectateur, en traitant une figure dépeinte, notamment dans le monde anglo-saxon, comme une brute tyrannique frustrée, et en le retraitant comme tel ? Est-ce vraiment intéressant ?

Et malheureusement, j’ai tendance à dire que non, car ce qui sort des batailles historiques est assez fade, voir mauvais. Le défaut principal du film, duquel découle ses autres défauts, c’est le rythme. Ça ne tient pas, ça va trop vite, et on passe du coq à l’âne de manière abrupte et absurde. Et ça pendant presque 2 heures, ce qui fatigue et ne permet pas de s’investir dans le film, ses personnages, ou de ressentir son esthétique. Si je devais résumer le film ça serait :

-Napoléon on a besoin que tu fasses cette bataille

-ok

-superbe bataille ! Moi c’est Joséphine

-ok

-*baisent*

-Napoléon on a besoin que tu fasses cette bataille

-ok

-superbe bataille ! Moi c’est Joséphine et je te trompe

-pas ok

-*baisent*

Et si le rythme de l’histoire ne suit pas (notamment parce qu’il recouvre tout de 1792 à 1821, ce qui ne laisse pas de temps), les personnages, le scénario et la mise en scène ne suivent pas non plus. Dans un cas, on a Joséphine qui est démasquée pour son adultère, Napoléon l’engueule et s’emporte, et elle est en pleur ; la scène suivante, Joséphine s’emporte et méprise Napoléon qui réagit comme un enfant ; la scène suivante, on a Joséphine en pleur par peur d’être abandonnée. Chaque scène dure bien une minute, sauf que du coup c’est pas crédible qu’aussi rapidement tout et son contraire soit dit, et ça permet encore moins de s’intéresser aux personnages, qui vont mener des choix de vie, tomber amoureux, s’éloigner et se retrouver sans raison ni justification autre que par « c’est comme ça que ça s’est produit dans l’histoire » et le scénario. Le meilleur exemple c’est le fait qu’après leur rencontre, un service rendu par Napoléon, et une scène de sexe suggérée, les 2 se marient. Quand ton film se concentre volontairement sur les batailles et la vie sentimentale de Napoléon, c’est chaud que d’avoir des scènes sentimentales ou rien ne se passe, tout s’enchaîne vite, juste parce qu’on sait que dans tous les scénarios ou 2 personnes de sexe opposés se rencontrent, ils finissent amoureux.

Et ça va être comme ça tout le reste du temps ; sans savoir ce qui fait que Napoléon aime Joséphine, ou que malgré ses adultères elle semble garder des sentiments pour lui, on va te les montrer un temps proches, un temps éloignés, mais sans se poser, sans poser de cadre, et sans même te montrer ce qu’ils se trouvent, ou non, l’un l’autre.

Alors en ce sens, j’ai contesté l’idée de le montrer sous un angle déjà vu et revu, mais s’il avait été bien traité, je l’aurais validé. Ici, on a juste une compilation d’images et de situations qui se succèdent. Et c’est cette stratégie qui est employée pour illustrer Napoléon comme un petit homme frustré : une scène on le montre sauter Joséphine comme un lapin, et 30 secondes plus tard, on montre son sacre. Alors… là je me dis peut-être « haha il est ridicule parce qu’il sait pas fait plaisir à sa femme », mais je me dis aussi que c’est con comme enchaînement et choix, que les 2 personnages me font pitié mais sans plus, parce que c’est normal de trouver sa pitoyable des gens baiser comme ça, mais rien de véritablement gênant, à nouveau parce que c’est rapide, et superficiel, et que le choix de la scène suivante me fera juste dire « triste pour le réalisateur de trouver ça malin ». De la même façon que tu montres un plan de quelques secondes avec quelqu’un pleurer, je peux avoir un peu d’empathie, mais c’est tout, rien de plus, et l’enchaîner avec une autre scène me fera pas changer d’avis, si ce n’est amplifier la superficialité.

Et c’est pareil pour cette brute qui fait des conquêtes pour sa femme ; si tu ne dis qu’une fois par la bouche de Joséphine « tu fais ces guerres pour moi », ça ne m’offre pas la sensation que c’est le cas. Donc Ridley là, il nous dit des choses, et nous montre brièvement 2 personnes avoir des interactions (attention il va parler, retenez votre souffle mesdames et messieurs !), mais il en fait rien ; on retrace rapidement l’histoire, on vous montre des gens coucher et s’engueuler sans substance, vous connaissez la chanson !

D’ailleurs, qu’en est-il du tyran qu’on nous vend dans la bande annonce ? C’est pas une question rhétorique, je sais pas où il est, parce qu’hormis ce texte débile à la fin qui récapitule le nombre de morts des guerres napoléoniennes (pendant que les autres monarques absolutistes attendaient innocemment que leur population se fasse massacrer, j’imagine ?), on ne nous montre rien, ni ne nous dit rien ! Pire, on a presque l’impression que Napoléon se soucie pour son peuple, pas parce qu’il fait preuve d’une émotion particulière pour eux… mais parce qu’il n’a aucune forme d’émotion envers quiconque, et donc pas de cruauté.

Et pareil, en ce sens, pas de personnages secondaires, des caméos ou figurants connus de l'histoire, mais rien de plus. On a donc 2 protagonistes mal voire pas exploités.

Ce qui soulève, au final, la question suivante ; si socialement il est faible, ridicule, lâche et presque stupide… comment a-t-il fait pour s’élever si haut ? Par la seule aide de sa femme ? Parce que le génie militaire n’est pas exploité ; certes il mène l’offensive, mais rien ne laisse paraître une quelconque supériorité militaire. Et si c’était bien Joséphine qui lui avait permis de monter… alors pourquoi ne pas le montrer ? Plutôt que d' avoir une fois Joséphine dire « c’est grâce à moi que t’es là », le tout avant même le coup d’état du 18 brumaire (qui donne donc encore moins l’impression qu’elle a agi plus que ça).

Et pourtant, je pense pas que le film manquait spécialement de mauvaises idées, et je pense notamment à la fin ou Ridley se permet de rechanger l’histoire ; Napoléon qui rentre en France pour venir retrouver sa femme, gros anachronisme puisqu’elle était morte avant le retour d’Elbe. J’ai pensé à la dame aux camélias, quand le protagoniste apprend que Marguerite mourante l’attendais chaque jour. Peut-être aurait-ce été un peu cliché, mais l’idée de voir un Napoléon de plus en plus paniqué, rassemblant toute ses forces et affrontant la nouvelle monarchie pour retrouver une femme qu’il a toujours aimé, alors qu’elle perd ses forces… c’est assez beau, bien que pas si original. Mais dans le film, le traitement est pitoyable ; non seulement il ne semble pas tant préoccupé jusqu’au moment d’apprendre la mort, mais Joséphine l’attend pendant 30 secondes, on la voit malade (sans nous dire comment elle est tombée malade) pendant 30 secondes, et on la voit faible dans son lit pendant 30 secondes. C’est tout. Une scène consacrée à elle sur sa mort et son amour pour Napoléon qui s’affirme dans ces moments, on ne lui accorde même pas plus de temps que ça. On repassera.

Aussi, sur la photographie… ces filtres jaunes et gris sont juste dégelasses. En regardant la bande annonce j’étais perturbé par ces trucs qui semblent rajoutés pour masquer les défauts d’écran vert, et ça manque pas ; jour = filtre jaune (du jaune sur du jaune, quelle bonne idée), et neige/pluie = filtre gris. C’est moche. Arrête.

Et le dernier point négatif que j’aborderais, c’est les acteurs eux-mêmes ; Dieu que les 2, mais surtout Joaquin Pheonix, sont mauvais et prétentieux. Pheonix est ridicule à essayer de se faire passer pour Napoléon, parce qu’il se contente d’être mort de l’intérieur et de se convaincre très fortement « je suis Napoléon, je suis terrible, je suis le meilleur, le plus grand homme… le plus grand… le plus grand acteur… oh que je suis beau… ». Tout le long du film on se coltine un Joaquin béat et sans émotion, se contentant du minimum syndical quand nécessaire :

-action

-_-

-le rire

-yipi

-retour sur Napoléon

-_-

-la tristesse

-*chiale*

Et clairement là c’est pas le jeu d’un petit homme frustré du nom de Napoléon qui se comporte comme tel, c’est celui d’un petit acteur hautain qui, fort de son succès depuis Joker, se croit à l’apogée du jeu d’acteur. Et il n’y a rien de tel que les 30 premières minutes du film ou les 2 se « parlent » pour le montrer ; ils se répondent avec 5 secondes de décalage. 5 secondes. J’écoutais il n’y a pas longtemps un podcast de Bégaudeau sur « la gêne occasionnée », ou il parlait des acteurs un peu médiocres qui suivent la tendance ridicule de répondre avec quelques secondes d’écart pour un truc super simple. C’est ça entre les 2 au début, et ils ont l’air particulièrement con, parce qu’à nouveau tu vois pas 2 personnes, mais 2 acteurs qui se cherchent un style. Peut-être ont-ils mal été dirigé, mais vu la réaction de Pheonix quand il regarde une momie… et l’écoute (il pose son oreille contre elle… ok ?), je pense que c’est juste lui qui s’improvise des trucs très cons, sachant que j’ai entendu que pendant le tournage il avait demandé à retourner des scènes pour mieux imposer son caractère.

« Je rentre et vois la France en Etat de banqueroute, vous m’accusez de désertion… alors que vous savez que ma femme est une trainée » est surement la phrase la plus légendaire du cinéma (du même niveau que « It’s Morbin time »).

Bon, ok les points positifs (en même temps vu la note je pouvais pas que le descendre) : les batailles. Hormis la campagne d’Egypte qui est anecdotique dans le film, et l’absence d’autres batailles qui me semblaient incontournables (la campagne d’Italie), je les trouve bien réussie, notamment celle de Waterloo, qui n’hésite pas à prendre du temps pour montrer l’ampleur du ravage, ou celle d’Austerlitz. La mise en scène sur le lac gelé, les soldats se tenant face aux pyramides et le boulet tiré dessus, la taille du champ de bataille, Moscou en flamme vu de taille humaine… tout est fait pour immerger dans un certains spectaculaire. Ce n’est pas révolutionnaire, mais ça marche, et on se sent non seulement pris dans la bataille, mais aussi dans l’époque ; les batailles du début XIXème siècle, souvent montrées mollement au cinéma, sont ici intenses tant on ressent la brutalité des tirs (dont on insiste sur le sang sans en faire des caisses), des explosions, ou encore les chevaux qui s’effondrent et les brutales offensives.

Dommage que cette même intelligence de la mise en scène ne soit pas réutilisée dans le reste de ce film, qui me laissera au final assez sur d’une chose ; si dans le cinéma sur Napoléon, on se rappellera du film en tant que projet de Ridley Scott, dans le paysage cinématographique global, il ne fera qu’un envol de 100 jours.

Créée

le 25 nov. 2023

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