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NE CROYEZ SURTOUT PAS QUE JE HURLE (16,9) (Frank Beauvais, FRA, 2019, 75min) :


Ne croyez surtout pas que je hurle, premier long métrage de Frank Beauvais, livre une introspection intime au milieu d’un kaléidoscope d’images cinématographiques, pour éclairer son âme embrumée par une rupture amoureuse et l’isolement.


L’arme à gauche, larmes à droite, nous sommes le 26 septembre 2019, Jacques Chirac vient de partir vers un ailleurs… Ironie du sort, alors que mon azerty s’apprête à tenter de pondre une bafouille pour honorer humblement le présent et le cœur vacillant mais bien à gauche de Frank Beauvais. Mal à droite, un peu gauche ma pensée s’éparpille, politique et cinéma, deux mondes, si loin et si proche. À la rescousse je m’appuie sur la conviction de Costa-Gavras : « Tous les films sont politiques. », pour revenir vers cet épatant documentaire, si vibrant malgré la nuit.


Tout commence en janvier 2016. À la suite d’une rupture amoureuse avec son amant, Frank Beauvais décide de fuir le village isolé dans lequel il était venu vivre plus confortablement son amour, afin de revenir sur Paris. En attendant ce départ salvateur vers la capitale, il reste prisonnier au milieu d’une nature étouffante et d’un morne ennui et s’ingurgite par amour des films, mais aussi comme une balise de détresse, pas moins de 400 films en 6 mois. Chaque jour, le réalisateur fuit la promesse de l’aube pour manger de la pellicule, de l’heure où blanchit la campagne jusqu’à la nuit du chasseur. Déprime à bord de son canapé trois places dans lequel son corps alourdi de peines s’abreuve de visionnages comme médicaments de survie. Une vie sans amour, sans emploi, sans voiture, sans télé et à l’avenir incertain qui se décline au rythme de ses projections quotidiennes pour contrer son marasme. Une année balisée de douleurs et de deuils, fin d’une relation amoureuse, et tristesse du décès de son père malgré leur relation antinomique et complexe.
L’auteur décide de restituer de façon inédite et radicale ses multiples tourments dépressifs, sous la forme d’un autoportrait sans concession, une émouvante mise à nu. Un poème impudique composé d’images des 400 œuvres de fiction du 7ème art digérées pendant son enfermement obsessionnel et boulimique de films.


Un essai autobiographique monté comme un puzzle géant, où chaque morceau de cinéma trouve sa place pour illustrer un état d’âme. Au pays de Beauvais l’hétérogénéité et l’éclectisme sont rois, et Frank n’est pas borgne, tant l’acuité de son montage (aidé par Thomas Marchand), pas fait en aveugle, apparaît d’une cohérence absolue pour panser de façon « imagée » ses blessures prononcées en voix-off. Un timbre unique qui nous guide impudiquement vers la voie de ses ombres, pour mieux mettre en lumière ses cris intérieurs. De la révolte au plus profond de soi, de la rage en maux, évacuées dans un flow de phrases ciselées déclinées avec une diction bienveillante afin d’évoquer son journal intime (son amant, son père, sa vie…), l’actualité funeste (nombreux attentats dont celui du 14 juillet à Nice), ses convictions anticapitalistes, ses angoisses économiques, ses peurs de la répression sociale et policière et les contestation politiques (mouvement Nuit Debout) notamment.


Un brillant « je » de miroirs, poétique, bien pensé pour relayer les mots d’un texte vibrant et percutant. Une plongée au cœur de l’intime (donc forcément universelle) qui, tour à tour, nous captive, interpelle, surprend, fait sourire ou pleurer, devant cet afflux de très courts extraits en noir et blanc ou en couleur sans jamais trahir le format initial de l’œuvre sélectionnée.
Un festival étourdissant, à travers cette farandole de vérités érigées par l’auteur, qui résonne en nous, et nous laisse particulièrement vivant en sortant de la salle obscure !


Venez braver ces tempêtes sous un crâne, pour accompagner ce récit éloquent et sincère qu’est Ne croyez surtout pas que je hurle, un véritable phare dans la nuit. Envoûtant. Salutaire. Poignant. Nécessaire.

seb2046
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le 1 oct. 2019

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