Weak End

Ne Dis Rien (Speak No Evil) est un petit film danois de Christian Tafdrud un peu passé sous les radars de ma détection à films de genre. Sorti uniquement en VOD en septembre, ce thriller particulièrement anxiogène est une excellente surprise découverte par le plus grand des hasards. Peut être que le plaisir réside pour beaucoup dans la découverte, ce qui impliquerait de ne pas trop en savoir et donc de ne pas lire cette critique, mais Ne Dis Rien mérite assurément et paradoxalement qu'on en dise du bien.

L'histoire c'est celle d'un couple de danois qui reçoivent une lettre d'un couple de hollandais qu'ils avaient rencontrés et avec lequel ils avaient sympathiser lors de leurs vacances estivales en Toscane. Sans vraiment les connaître , le couple les invite à venir passer un week-end entre amis chez eux en Hollande. Après quelques hésitations le couple danois accepte l'invitation mais le week-end ne sera pas tout à fait celui qu'ils espéraient.

L'appartenance du film au cinéma de genre implique tacitement que ce petit week-end entres nouveaux amis ne se passe pas de la meilleure des manières. Ce qui importe en revanche c'est le chemin par lequel Christian Tafdrud va construire la montée en puissance d'une tension de plus en plus anxiogène aboutissant à un final d'une profonde noirceur. On sait pertinemment que ce couple de hollandais n'est sans doute pas tout à fait ce qu'il prétend , que ce week-end sent un peu la merde dès le départ, mais le film va prendre un malin plaisir à instaurer un climat dont le maître mot sera le malaise. La force du film est de rester sur la corde raide entre l'étrangeté et le quotidien qui fait que ce gentil couple d'hôtes et leur fils mutique font juste ce qu'il faut pour vous mettre super mal à l'aise tout en restant affable, prévenant et amical. On a tous connu un jour ce genre de situation un peu inconfortable ou l'on se retrouve chez des amis, des proches ou des inconnus à regarder un couple un peu sans gêne, à être témoins de parents qui bousculent ou engueulent trop fort et trop arbitrairement leur enfant, à se retrouver un petit peu humilier par une faute d'attention ou une remarque blessante, à se retrouver confronter à des règles et modes de vies éloignées des nôtres … Des situations diverses que l'on accepte le plus souvent avec la politesse de l'invité qui ne joue pas à domicile. Ne Dis Rien va énormément jouer sur cet aspect en créant un malaise de plus en plus profond entre les deux couples et en instaurant un jeu pervers de séduction, de domination, d'empathie, de résistance et d'acceptation. C'est peut être même dans ces questions que réside toute la profonde noirceur du film, sur notre acceptation polie, sur nos petites convenances et lâchetés, sur notre crainte des conflits qui font que nous refusons trop souvent de nous opposer et de dire simplement non. Le film se construit ainsi dans un savant crescendo de petits malaises en humiliations qui va déboucher sur un final d'une profonde noirceur et d'une grande violence psychologique qui n'aura d'autre explication qu'une simple petite phrase aussi sentencieuse qu'implacable.

Le quatuor de comédiens au centre de ce glaçant récit sont vraiment très bons et ne sombrent jamais dans l’excès ni la caricature. Versant danois Morten Burian incarne Bjorn, un type un peu fragile, un peu paumé, un peu lâche, bon mari et chouette papa dont on comprend parfaitement qu'il soit séduit par l'aspect un peu plus rustre, sur de lui et mâle dominant de son hôte. Sa compagne Louise interprétée par Sidsel Siem Koch sera la première à réagir et s'opposer mollement mais sa fragile stature de brindille l'empêchera d'aller beaucoup plus loin comme si elle incarnait le mental sans le physique. Même si le couple sera parfois un peu agaçant dans sa neutralité et sa capacité à subir sans trop broncher, les personnages resteront authentiques et crédibles. Du côté hollandais le couple à la ville comme à l'écran est incarné avec une complicité évidente par Karina Smulder et Deja van Huêt. Dans le rôle de Patrick le comédien livre un savoureux numéro de type à l'assurance un peu présomptueuse, à l'arrogance assumée mais qui saura toujours se montrer suffisamment compréhensif et serviable pour se faire pardonner. Quant à Karina Smulder elle incarne une figure blonde à l'autorité un peu rigide et froide bien plus effrayante dans ses sourires que dans remarques acerbes. Les deux acteurs et les deux actrices sont parfaits et portent grandement la crédibilité d'un récit qui ne pouvait pas se passer de l'adhésion aux comportements de leurs personnages. Dans son écriture et sa mise en scène Christian Tafdrud trouve la juste mesure pour faire monter en puissance son récit froid et clinique jusqu'à l'horreur la plus ordinaire, la plus gratuite et la plus abjecte. Toute la construction se fait par petites touches assez subtiles et une caractérisation des personnages qui se construit à mesure que le film avance inexorablement vers son funeste destin.

Ne Dis Rien est vraiment un très bon thriller à l'ambiance froide et implacable qui à l'image du couple tordu au centre du récit vous invite, vous met mal à l'aise tout en restant agréable et ne vous lâche plus jusqu'à vous mettre à mal.