Je ne vois pas.
Non, je ne vois pas où voulait en venir Laure de Clermont-Tonnerre avec ce « Nevada ».


Pour le sujet, ça va, c’est clair. Un homme en quête de rédemption trouve une voie de sortie grâce à un programme de domptage de chevaux sauvages.
OK. On voit bien le parallèle : les deux bêtes blessées, enfermées entre quatre murs, vont s’aider mutuellement à s’émanciper de leur condition…
Sauf que : bah oui mais après ?


« Nevada », je l’ai vécu comme un cadre posé mais avec pas grand-chose de peint dedans. Ou plutôt au lieu d’avoir une belle et grande peinture dans mon cadre, je me suis retrouvé avec une multitude de petites images parfois agréables à regarder (même si personnellement j’ai beaucoup de mal avec cette photographie beaucoup trop contrastée et jaunie à mon goût) et qui peuvent parfois toucher pour peu qu’on sache les prendre indépendamment du reste.
Parmi ces bons moments : ces scènes qui savent transmettre cette belle sensation de liberté à chevaucher à travers les grands espaces, ou bien encore les quelques moments de complicité entre cavaliers…
Mais le problème c’est que, pris dans son ensemble, ce film ne parvient pas à tirer grand-chose de son sujet.


Même s’il y a une recherche d’esthétisme, ça reste très illustratif dans la mise en scène. Les événements s’enchainent sans réelle surprise. D’abord on montre l’arrivée des deux bêtes fougueuses dans le programme, l’équidé et l’humain. Puis on nous présente la rencontre. Au départ ça ne se passe pas bien. Et puis progressivement ça se passe mieux. Et à la fin, ça se passe...


...très bien, puisque chacun libère l’autre de sa servitude. L’humain a libéré le cheval de son enclos tandis que le cheval a libéré l’humain de sa propre autodestruction.


Qu’apprend-on de ces moments ? Quel regard spécifique nous apporte-t-on sur l’humain, le sauvage, la colère ? Bah au fond rien. Les choses se font parce qu’elles se font. On voit bien les étapes être franchies mais sans qu’on saisisse les raisons de ces basculements, ce qui donne des scènes pétries de fausses promesses.


Exemple de ce moment où Roman tente d’être accepté par son canasson. Il essaye et essaye encore. Il s’énerve. Parfois il crie. Mais il n’arrive à rien. Alors, en bon spectateur connaisseurs des codes on se dit : « C’est normal Roman. Il faut que tu apprennes à dompter ta colère. Il faut que tu apprennes à te livrer entièrement au cheval afin qu’il se livre à toi… » Bref, on attend à ce que le film exprime quelque-chose de cet instant et qu’il le fasse suffisamment subtilement pour que notre suspension d’incrédulité ne s'envole pas aux quatre vents
En somme on attend que l’auteure sache nous duper avec ses artifices d’artiste afin de nous emmener là où elle entend nous emmener.


Sauf que non. Roman finit par s’asseoir de fatigue et – poup ! – le cheval finit par kiffer Roman d’un claquement de doigt. Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce que je suis sensé ressentir face à ce type de dénouement de scène ? Plein de questions que je me suis posées mais que, visiblement, Laure de Clermont-Tonnerre ne s’est pas posées. Ou plutôt non : je pense qu’elle se les ait posées ces questions mais que, malheureusement, elle n’a pas voulu y répondre.
A chaque fois, sa réponse a été une forme d’évitement. « C’est comme ça et je ne veux pas prendre le risque de t’expliquer le comment du pourquoi. »


Certes ce choix peut se comprendre.
Au fond c’est une manière d’éviter de tomber dans les gros clichés et les artifices malhabiles. Le problème pour moi, c’est qu’en procédant ainsi, elle ne créé pas les conditions nécessaires à mon implication dans l’intrigue.
Je reste extérieur. Spectateur.
Je constate juste les faits sans qu’ils ne me parlent un seul instant.


Ce « Nevada », à refuser de creuser pleinement son sujet, se limite finalement à une simple exploration de surface. Et le pire, c’est qu’en définitive, il n’échappe pas pour autant à une certaine sensation de films à clichés et à artifices malhabiles. Parce qu’au fond, la transition du personnage de Roman a un côté très arbitraire et très forcé.


Quand on se dit que pendant douze ans le gars a refusé de parler avec sa fille, s’enfermant dans le mutisme et la colère, et qu’en seulement quelques mois il transite subitement vers le gars contrit, ému et loquace. Et tout ça juste parce qu’il a dressé un cheval ?


Franchement, heureusement pour ce film qu’il y a le remarquable jeu de Mathias Schoenaerts pour faire passer la pilule, parce que dans les faits, si cette séquence fonctionne quand on la prend de manière totalement isolée du reste, elle ne fonctionne plus du tout dès qu’on l’aborde au sein de l’intrigue globale.


Et pour le coup la superficialité de ce traitement est vraiment dommageable car à certains moments j’ai senti les possibilités que pouvaient offrir ce « Nevada ».
La question du poids de la faute est notamment très intéressante, surtout quand on parvient à présenter ces criminels comme des personnes qui ont juste perdu le contrôle sur quelques secondes à peine et qui doivent désormais en supporter les conséquences sur tout le reste de leur vie.


Il y avait vraiment quelque-chose à faire avec ça, notamment dans le cadre d’une comparaison avec ces Mustangs qui sont justement très violents parce qu’on les enferme et les contraint. Malheureusement, au lieu de cela, ce film n’est qu’une accumulation de promesses non-tenues ; de fuites régulières de l’auteure ; si bien qu’à bien tout prendre, quand j’y réfléchis bien, voir ce long-métrage ne m’a pas vraiment apporté grand-chose de plus que le visionnage de la bande-annonce.


C’est en cela que je suis triste.
Je pense que si la muse de Laure de Clermont-Tonnerre avait été plus inspirée, on aurait pu avoir là un beau film humaniste et touchant. Au lieu de cela on a juste un film qui, ponctuellement parvient à offrir des moments ou des images justes, mais qui globalement peine à transcender son sujet.


Une belle occasion manquée...

Créée

le 25 juin 2019

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