Le nouveau film de l’Américaine Eliza Hittman , Never Rarely Sometimes Always fait penser au mumblecore de la plus pure espèce de Sundance, tout en étant militant. Mieux, c’est en ne disant (presque) rien que le film montre la violence de la situation thématique qu’il propose, à savoir le droit à l’avortement dans le pays à l’ère de Trump.
Autumn (Sidney Flanigan) est une très jeune fille très renfermée qui s’aperçoit dès le début du film qu’elle est enceinte. Dans un premier temps, elle n’a qu’une idée en tête, c’est de cacher cette grossesse non désirée, y compris à sa propre mère, surtout à sa propre mère serait-on même tenté de dire. Les raisons d’un tel silence ne seront jamais explicitées, mais comme pour tout le reste du métrage, Eliza Hittman s’appuie davantage sur des indices discrets mais significatifs que sur des discours pour faire sa « démonstration ».
Après les cours au lycée, Autumn travaille avec sa cousine et meilleure amie Skylar (Talya Rider) comme caissières au supermarché du coin, dans cette petite zone rurale de Pennsylvanie, et on les voit ainsi en proie aux envies libidineuses d’hommes plus ou moins âgés, clients comme patron. A la fête de l’école, c’est un geste obscène de la part d’un camarade, et même à la maison, le beau-père se comporte d’une manière extrêmement limite. C’est dans un tel contexte qu’Autumn décide d’avorter, et s’adresse au planning familial près de chez elle. Toujours accompagné d’un ton très doux, douceâtre en l’occurrence , celui-ci s’avère être plus proche de l’enfer que du salut recherché.
Lorsque les deux cousines sont obligées de partir jusqu’à New-York pour trouver l’aide nécessaire, et être sûres que l’avortement d’Autumn ne sera jamais révélé à ses parents, le film prend presque des airs de documentaire, ne prenant jamais parti pour rien, mais n’en pensant pas moins pour autant. La cinéaste relate tout de manière neutre, avec des protagonistes quasi-mutiques. Débutant au terminal de Port Authority, tout comme le film éponyme de Danielle Lessovitz, leur aventure montre, comme dans le film queer, le contraste entre les new-yorkais et tous ces provinciaux un peu affolés qui débarquent au cœur de Manhattan. Malgré leur extrême vulnérabilité dans cette grande ville, les deux cousines restent stoïques. Seuls deux moments font déborder des émotions comme contenues sous pression. Le premier se passe au planning familial de Manhattan, où Autumn pleure -enfin- quand l’assistante sociale lui pose les questions rituelles sur sa vie sexuelle, et sur l’éventualité de toute agression sexuelle, des questions auxquelles elle ne réussit pas à répondre. L’autre moment, bref, mais plus joyeux, est partagé par les deux cousines autour du premier repas – un petit déjeuner – qu’elles ont eu depuis leur arrivée à New-York, deux jours auparavant. Les filles partagent une viennoiserie dans la bonne humeur, les rires même : le calvaire est fini, l’avortement a eu lieu, et la vie monotone de la Pennsylvanie rurale va reprendre.
Never Rarely Sometimes Always est un excellent film qui montre la vie pas si facile des femmes dans un pays où le MeToo reste encore finalement une manifestation très marginale. Dans le cœur de l’Amérique, dans les villes de province, les femmes subissent encore un machisme pour ne pas dire plus, protégé par la société elle-même. Dans ce pays, la première puissance du monde, un rôle d’exemple pour tant d’autres, le droit à l’avortement est réduit à sa portion congrue, les centres ferment les uns après les autres, sous les yeux goguenards de son président, et même si des voix comme celles d’Eliza Hittman continuent à faire de la résistance à leur manière, la souffrance des Autumn et des Skylar, victimes de toutes les concupiscences, reste vive. In fine, le côté mumblecore du film est celui qui prend le dessus, la belle amitié des deux cousines est finalement ce qu’on retiendra le plus du métrage. Il suffit de deux doigts qui se croisent pour s’en convaincre…
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