Il fallait au minimum une Chantal Ackerman pour filmer avec autant de beauté, d'ampleur et de pertinence la mégalopole new-yorkaise, son faste et ses affres.

Cette plongée sublime dans un New-York, loin de la carte postale, nous dévoile cette ville envoûtante avec toutes ses complexités. On ne rentre jamais dans les buildings. Toujours à l'extérieur ou dans le métro pour découvrir avec fascisation le New-York défraichi dans années 70.


Mille et un films ont évidemment été tourné dans New-York sans que jamais la dimension babylonienne ne soit à ce point captée par la caméra.

Fidèle à son habitude, Ackerman pose sa caméra et nous montre, par ce procédé (succession de plans fixes), les contrastes forts qui cohabitent dans New York. La skyline déstructurée tantôt inquiétante, tantôt somptueuse et imposante. L'occupation des rues, certaines bondées et d'autres véritables no man's land au même titre que les nombreuses dalles de parkings figurant dans le film. Les publics multiples, variés, cosmopolites rencontrés dans le métro. Autant de témoins de cette convergence du monde.


A ce titre, les deux derniers travellings du film sont littéralement fascinant.

Le premier pris depuis l'est de Manhattan nous montre au premier plan, le New-York destroy des années 70 avec ces immeubles abandonnés, ces chantiers de démolition, ces hangars à camion, ces murs aveugles, ces publics errants... A l'arrière-plan la mégapole, les grattes-ciel, les perspectives infinies, la densité de la vie et du trafic, l'Empire State Building. Le tout ramassé sur un seul plan séquence mystique.

Le deuxième, encore plus radical, pris, en temps réel, depuis le ferry naviguant vers Staten Island. Manhattan, écrasante, se dévoile dans toute sa beauté au fur et à mesure de la prise de recul avant de disparaître sous une brume matinale éclipsant la ville tentaculaire pour ne laisser que le bruit du moteur du ferry et celui des oiseaux marins dans le brouillard naissant. Une pure beauté.


En superposition à ce portrait urbain, Chantal Akerman lit elle-même les lettres inquiètes reçues de la part de sa mère durant son séjour new-yorkais. A la fois tendre, familier, interrogatif et factuel, le ton de ces lettres permet à la réalisatrice de mêler l'intime (les lettres) et le gigantisme (New-York). La lecture frêle et vulnérable étant bien souvent masquée derrière les multiples bruits urbains. Comme une figuration de l'effet imposant et anonyme des grandes villes et de leur frénésie sur la vie de ces occupants.


Sublime témoignage d'une ville en mouvement. Sublime document nous montrant le New-York de 1970. Sombre, flétri, trouble mais pour le moins magnétique et captivant.

evguénie
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le 21 août 2023

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