« Écologie » n’a jamais rimé avec « terrorisme ». C’est pourtant l’idée que défend Kelly Reichardt dans ce quatrième long métrage lointainement voisin des trois précédents. Casting de stars, sujet politique, scénario à suspense, Night Moves est pourtant un film s’inscrivant logiquement dans l’œuvre de la cinéaste, en partie par son propos muant inlassablement tout au long de l’aventure entreprise par ces trois jeunes écologistes environnementaux - dont les interprétations se situent très largement au dessus du niveau de nos attentes – ne ressemblant aucunement au grand film écolo de l’an passé (Promised Land de Gus van Sant) que ce dernier aurait pu nous évoquer.

Josh, Dena et Harmon ont peu de choses en commun, excepté leur détermination pour l’attentat nocturne qu’ils préparent, entre frayeur et excitation : faire sauter un barrage hydroélectrique avec un bateau servant de bombe. L’avant, le pendant et l’après attentat sont les trois mouvements que Kelly Reichardt choisit de traiter. Trop ambitieux pour une intrigue de base aussi pauvre ? La cinéaste, sortie maintenant de la cour des petits, nous dévoile une étude psychologique introspective de l’humain - post attentat – pour le moins bouleversante. Si la première heure de Night Moves paraît convenue, la deuxième s’observe comme un virage brillamment négocié avec le relancement d’une deuxième intrigue, la naissance de nouveaux conflits, la multiplication de nouveaux obstacles insoupçonnés.

Le barrage dont nous parle Night Moves n’est en effet pas seulement celui que l’équipe d’écolos choisi de faire sauter. À partir de cette scène centrale, des frontières invisibles vont se créer entre les trois mousquetaires, briser sèchement leur union déjà peu stable lors des préparatifs. C’est du point de vue de Josh que Kelly Reichardt va décider d’observer la suite des évènements. L’esprit communautaire de la première partie va ainsi laisser place à l’esprit individuel, solitaire de la seconde. Un autre barrage va se créer pour Josh, un barrage en son intérieur, dans sa conscience. Sans abondamment surligner la grande instabilité de la situation dans laquelle se trouve Josh, la mise en scène de Kelly Reichardt cherchera constamment à éviter un naturalisme sous jacent, rendant à la fois son personnage attachant, mystérieux, tout sauf impuissant.

C’est malheureusement dans son climax que le potentiel du film se verra oublié et submergé par la volonté de la cinéaste de se surpasser, d’ajouter des rebondissements inutiles à la finalité et au destin de Josh. Climax qui par ailleurs ne rappelle aucunement ses œuvres précédentes, se finissant dans l’attente, le recul ou le jugement d’une vie passée. Abusant d’une écriture reposant sur le suspense, Reichardt perd finalement de son talent pour l’évolution de son atmosphère propre, jamais suresthétisée ni surjouée, nous amenant toujours à suivre avec un intérêt constant le sort de ses personnages manipulés avec des pincettes.

Si dans son écriture et son casting Night Moves diffère sensiblement de Wendy et Lucy (2009) ou la Dernière Piste (2011), Reichardt nous montre et nous traduit néanmoins toujours une caractéristique proprement humaine, présente en nous depuis la naissance de nos ancêtres : les combats idéologiques, d’abord contre les autres, mais aussi et surtout contre soi même.
Forrest
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le 27 avr. 2014

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