« We live as we dream − alone »

Je ne remercierai jamais assez Joseph Conrad pour cette citation d'Heart of Darkness, qui convient selon moi parfaitement au film que je viens de voir.

Je déteste les films lents. Ou du moins, trop lents. C'est ce qui fait par exemple que le culte autour de 2001 restera je le crains à jamais un mystère à mes yeux, malgré ses qualités. Mais Night Moves est un film terriblement lent. Et j'ai aimé Night Moves.

Ce film, c'est l'histoire de trois protagonistes réunis pour détruire un barrage, une entreprise hautement risquée ayant pour objectif final d'arriver à faire réfléchir les gens sur les grandes questions écologiques de notre temps, qui commencent à peine à faire sourciller les peuples. Comme dit, il est temps que les multinationales comprennent qu'on ne peut tirer aucun profit d'une Terre morte. Dans la réalité ce n'est pas encore ça, et dans Night Moves ça ne l'est donc pas non plus.

La première partie du film, la préparation, est assez lente - déjà -, pas inintéressante mais pas captivante non plus. En revanche, dès le moment où le groupe passe à "l'action", Night Moves devient fascinant. Action est entre guillemets car ce passage n'a rien d'action : il s'agit d'une longue descente de l'amont vers l'aval, vers le barrage. Une descente qui, même s'ils l'ignorent encore, s'apparentera in fine beaucoup à la remontée effectuée par Marlow dans Heart of Darkness (Conrad encore, on y revient). Durant cette descente, il n'y a presque pas un mot, et on se laisse bercer par les splendides musiques de Jeff Grace tout en contemplant de magnifiques paysages. Parallèlement, on ressent via le personnage de Josh la tension grandissante à l'approche du but ultime. Toute cette partie est vraiment remarquable, et si le film s'était arrêté peu après il aurait été un formidable one shot d'une heure. Mais aurait perdu ce que certains considérerons peut-être comme son intérêt principal.

Car Night Moves est avant tout un film incroyablement sombre. Dans sa dernière partie, il s'attardera ainsi sur les conséquences d'une telle action et les répercutions psychologiques et physiques sur les personnages. Et là c'est long, looong. Trop long pour moi, sans aucun doute. La descente aux Enfers présentée est heureusement intéressante, mais mes limites furent atteintes.

Reste que le film se termine sur une note de noirceur absolue. Boucle infinie vaine et tortueuse, Night Moves interroge sur le prix que peuvent coûter des convictions lorsqu'elles se paient en ténèbres et que la lumière devient petit à petit l'obscurité qu'elle partait chasser. Et, en matière de ténèbres, ne pouvant faire mieux que le Maître, je le laisserai conclure cette critique de la même manière qu'il l'a entamée :
« Droll thing life is − that mysterious arrangement of merciless logic for a futile purpose. The most you can hope from it is some knowledge of yourself − that comes too late − a crop of inextinguishable regrets. »