Ou le désir de mourir dans une salle obscure

Si jamais la question s'est posée de savoir où se trouve l'enfer du cinéphile, Night Moves apporte une réponse terminale : entre ses bras décharnés et sa poitrine en putréfaction. On n'a pas vu le précédent film de Kelly Reichardt (nom de famille suspect, d'entrée de jeu), mais on passera son tour, tant ce qui est considéré par la critique (sous antidépresseurs) comme son meilleur film donne une envie et une seule : mourir, fût-ce dans des souffrances médiévales, voire chinoises. Les 20-30 premières minutes de mise en place, intéressantes dans leur détail et pesantes, laissaient attendre un crescendo logique. Il n'en est rien ! La grooosse et looongue heure suivante n'est que traversée en solitaire dans la vallée des larmes, du vide cinématographique, ce vide puant de l'indé bourgeois où rien peut être considéré comme tout en un claquement de doigt "intellectueux", de la neurasthénie narrative, de l'apathie physique.


Reichardt se plante sur quasiment toute la ligne. Un bon paquet de ses plans durent trois, quatre, cinq fois leurs durée naturelle (on pense à du Gus Van Sant ou du Aoyama Shinji, mais sans les jolies images...) ; elle mise sur l'apathie de ses personnages pour nourrir l'esprit crépusculaire et fataliste de son précieux film, mais ce dernier n'en ressort que plus imperméable, et d'une nullité dramatique impressionnante (ses personnages peuvent crever dans d'atroces souffrances sans que le spectacle ne suscite la moindre émotion) ; la spirale paranoïaque qui s'installe dans sa seconde moitié, et qui a visiblement intéressé la réalisatrice plus que tout le reste, elle peine à remplir cinq minutes de drama et habiller deux pages de scénario. Ah, et naturellement, on ne trouvera nulle part de propos politique structuré concernant l'écologisme militant (radical ou pas), ne serait-ce qu'entrée de gamme, qui aurait éventuellement atténué l'échec de la fiction et pris la relève avec deux ou trois réflexions/propositions intéressantes. Nada.


Mais bon, l'essentiel, le goût pourri qui reste sur la langue quelques heures après la sortie de la salle, c'est cette absence douloureuse d'émotion, de pulsion de vie, comme de pulsion de mort : dans Night Moves, on n'adore rien, on ne déteste rien, on critique sans critiquer, on filme la nature sans passion, sans cojones (ça tombe bien, tiens). Rien. Nada. Eisenberg (parfait dans l'apathie exaspérante, certes), la chtite Fanning et le toujours génial Sarsgaard sont des prisonniers-zombies de ce cinéma détestable. Nous aussi. Sauf que nous, on a payé l'entrée.


Allez, pour le coup, la note passe de 3/10 à 2/10. Qu'ils aillent tous se faire foutre.


Note : si l'on n'est pas étonné par la complaisance envers le film de la critique parisienne, toujours disposée à prendre un plan de merde de chien long de trois heures pour un courageux morceau de contemplation métaphysique, la note moyenne du public laisse un peu plus perplexe. Enfin, pendant trente secondes, peut-être. Après tout, free country and all that shit.

ScaarAlexander
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le 11 mai 2014

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Scaar_Alexander

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