Sorti en 2004 mais découvert ce Samedi à la faveur des ressorties estivales, ‘Nobody knows’ est un film absolument magnifique, peut-être un brin trop long (2h21). Mais je trouve qu’on a rarement vu des moments aussi banals aussi bien filmé.
Keiko, mère célibataire plutôt volage, vit seule avec ses quatre enfants. Ceux-ci, âgés entre cinq et douze ans, sont issus de quatre pères différents. Tout ce petit monde emménage en cachette dans un nouvel appartement. Akira assume toutes les tâches ménagères, avec l'aide de sa sœur Kyoko, pendant que leur mère travaille. Or, un jour, celle-ci ne revient pas du travail et part rejoindre un nouvel amant. Les enfants sont alors livrés à eux-mêmes.
Kore-eda fait le choix de raconter son film sous la forme d’une chronique. Il filme les jours qui s’écoulent, les journées qui se répètent. On suit ce quatuor d’enfants dans les tâches du quotidien : les courses, les repas, le ménage. L’aspect ‘chronique japonaise’ me semble un peu justifier la durée, et cette histoire prend son ampleur sur la durée. Le film n’est pas sans rappeler le cinéma de Yasujiro Ozu et son statut d’observateur de la société japonaise. Si Ozu filmait le Japon dans son passage à l’ère moderne, Kore-eda se concentre sur la sphère intime.
Cela dit, le film brosse un portrait en creux du Japon, sans que ce soit vraiment le sujet du film. Le Japon semble être un pays bien cruel autant pour les femmes que pour les enfants de classes sociales pauvres. Le début du film va en ce sens. On est sidéré de voir trois enfants transportés dans cette valise. On pense que la mère est indigne mais on comprend que pour avoir le logement, Keiko doit faire croire au propriétaire qu'elle n'a qu'un fils en lui cachant l'existence des trois autres petits. Le destin des quatres enfants laisse assez indifférent tant les adultes que les enfants de bonnes familles. Seule une étrange adolescente et une jeune vendeuse semblent touchés.
‘Nobody knows’ est un très beau long-métrage sur l’enfance. Pour ce genre de film, il est un peu cliché de dire que c’est filmé à hauteur d’enfants. Mais là, c’est assez vrai. A l’exception des deux plus jeunes, les enfants ne font preuve d’aucune insouciance, et ils ne peuvent pas. Ils sont pris par les tracas du quotidien, y compris financier. Cet Akira, qui tient sa famille a bout de bras, ne peut avoir la vie d’un jeune garçon de son âge. Il passe quelques instants à lire des mangas dans une boutique, mais il ne pourra pas se les payer. Il réussira à se lier avec d’autres enfants autour de parties de jeu vidéo, les seules séquences où il a la vie qu’il devrait avoir. Mais les différences de classe sont trop fortes pour que les amitiés dures.
L’autre qualité du film est que Kore-eda filme l’ensemble avec tendresse mais sans aucune complaisance. Il n’y a aucune mignonnerie contrairement à d’autres films sur le sujet, qui par ailleurs ont des qualités comme ‘Belfast’ de Kenneth Branagh. Kore-Eda fait confiance à l’émotion que suscitent son histoire et ses personnages. Même le climax déchirant du film est filmé avec pudeur et sans pathos ajouté. Même la mère est filmée avec affection. Loin d’être montrée comme une mère abjecte ou indigne, elle est montrée comme une paumée.
‘Nobody Knows’ est un film magnifique sur l’enfance ou justement sur la non-enfance. Ils n’en ont que l’âge mais pas la vie. Pour être tout à fait honnête, je n’ai rien vu de plus beau sur l’enfance douloureuse à part ‘L’incompris’ de Luigi Comencini.