Si Nocturama n'est pas parvenu à me transporter autant que je l'espérais, j'en ai tout de même retenu une expérience cinématographique globalement réussie. Je dirais même que plus les jours passent, plus mon admiration pour ses qualités d'écritures ne cesse de croitre.


Bertrand Bonello est parvenu à effleurer un sujet brûlant avec une facilité déconcertante. Le glissement aurait été facile, mais il n'a jamais dévié de sa trajectoire et des limites qu'il s'était fixées. Son rachitisme idéologique propulse Nocturama au cœur des débats actuels. Entre mon passage en salle obscure et le moment ou j'écris ces lignes, j'ai suivi plusieurs émissions télé et radio traitant de sujets plus ou moins connexes : du décryptage des processus d'embrigadement aux débats polémiques entourant les expérimentations des centres de déradicalisation. Il va s'en dire que bon nombre d'expressions et de phénomènes abordés rentraient en parfaite résonnance avec le film.


À mon sens, j'y retrouve les mêmes qualités que j'avais décelées dans le traitement du film Hope sorti la même année, l'intérêt cinématographique en plus (faut pas déconner non plus). Boris Lojkine nous immergeait dans une traversée de migrants effectuant la traversée de la méditerranée dans en partance du Sahara. Bonello porte son attention sur une bande de jeunes commettant un attentat sur notre sol. Dans les deux cas, ils tentent de suspendre le temps des joutes verbales démagogiques pour injecter un peu d'humains dans la "machine". Pas de contextualisation. Pas de justification. Pas de plaidoirie. Pas de légitimation. Uniquement une plongée immersive et sensorielle dans les rouages qui sous-entendent des actes.


Le film a beau vaguement évoquer une lutte anti-système, il ne rattache pas les néo-terroristes sous une bannière définie, si ce n'est celle du système qui les a enfantés. Ils s'inscrivent pourtant dans une certaine mouvance actuelle gravitant autour de l'idéologie de la régénération. Cette attirance morbide pour la participation à la fin du "monde." Cette volonté d'opérer une purification destructrice du système pour tenter de s'en soustraire. Cet ascenseur quasi narcissique visant à marquer sa singularité en commettant l'interdit. Bonello souligne d'ailleurs très bien toute l'ironie et l'escroquerie entourant ce fourvoiement collectif. Même dans l'accomplissement des actes, ils restent soumis à l'exigence matérialiste qu'ils escomptaient combattre. Ils ne visent pas les hommes, mais leurs symboles, sans se rendre compte qu'ils sont eux même un substrat de ce qu'ils semblent conspuer. Ils se trémoussent sur les tubes du moment. Ils se vêtissent en suivant les diktats de la mode. Ils trouvent finalement refuge dans un temple de la consommation. La seconde partie du film, avec ses sursauts quasi surréalistes, illustre d'ailleurs brillamment leur prise de conscience bien trop tardive. Et lorsque l'inévitable couperet tombe, les supplications de ces âmes perdues en quête de sens vont se confronter au plus implacable des silences. Une de plus. Une fois de trop. Les âmes perdues d'aujourd'hui formeront les ennemis d'État de demain.


D'un point de vue formel, Bonello joue sur beaucoup de contrastes et parvient rapidement à instaurer une certaine tension. La mécanique huilée du balai collectif de la première partie est soutenue par une réalisation faisant la part belle au mouvement. Le mutisme ambiant nous permet de profiter du jeu d'acteur impressionnant de la jeune distribution. Un petit jeu de funambule qui les fait tanguer vers une maturité presque désarçonnante, sans jamais les réduire à des mini-adultes, tout en laissant entrevoir des brèches émotionnelles. L'acte final, marqué par ses juxtapositions et ses répétitions, conclut parfaitement l'expérience sans tirer grassement sur la corde du pathos.


Merci.

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le 14 sept. 2016

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