Faut-il être créatif pour apprécier une oeuvre ?

Au premier abord film sur le couple, Nocturnal Animals reproduit l'effet de sa forme en multipliant les couches, non seulement chronologiques, mais thématiques. Dont une retient l'attention tout particulièrement : le thème de la créativité.


Susan est une galeriste faussement artiste, qui aime à se maquiller à l'excès pour cacher son manque de créativité. Elle trouve d'ailleurs que tout ce qui se fait dans l'art n'est qu'un monde de déchets ("a world of junk"), ce à quoi on lui répondra d'accepter l'absurdité de leur monde (comprenez le monde artistique), bien moins douloureuse que celle du vrai monde.


La personne lui faisant cette réflexion représente parfaitement ce que Susan ne voulait pas devenir : un artiste faux, qui comprend et accepte la futilité de son travail, et abandonne ainsi toute ambition créatrice. Il abandonne d'ailleurs toute passion dans son propre mariage, lui étant homosexuel et marié à une femme, et ainsi garder la raison pour oublier ses envies profondes.


Plusieurs éléments font écho à cette idée dans le film, et particulièrement le sommeil. Le mari de Susan passe son temps à expliquer qu'il ne souhaite pas la réveiller, tandis qu'elle lui répond qu'elle ne dort de toute façon jamais. Les intentions sont claires : le sommeil représente ce lâcher prise propre à l'inspiration, et alors que le monde autour d'elle prend Susan pour une artiste, elle, ne le voit pas de cet œil.


Son ex-mari, Edward, l'appelait d'ailleurs son "Nocturnal Animal", soit un animal ne dormant jamais la nuit, lui qui gardait en tête son romantisme et son envie irrépressible de créer.


Ce surnom affectueux devient par la suite le titre de son roman, qui très vite prendra des airs de revanche pour le divorcé sur Susan. La mise en abyme du spectateur devient alors claire, aidée par certains procédés de mise en scène, et surtout par les titres du film et du roman identiques. Le spectateur devant ce film est sensé avoir la même réponse émotionnelle que Susan devant le livre. Quelle est donc cette réponse ?


Le film parle avant tout de la quête de Susan pour devenir une artiste créative. Pour atteindre l'objet de cette quête, elle doit d'abord comprendre l'art et l'apprécier. Coup de chance, son ex-mari lui envoie un livre qui retranscrit étape par étape le processus de leur séparation. Elle a donc l'occasion de rentrer pleinement dans cette oeuvre, de découvrir son sens caché, et ainsi de la comprendre. Dès lors, son rapport à l'art en général change, à l'image de ce tableau affichant en grandes lettres dégoulinantes le mot "Revanche", acheté 8 ans plus tôt, et qu'elle n'appréciera qu'une fois avoir eu une connexion émotionnelle avec son thème.


Le même procédé est appliqué au spectateur. Le côté très littéral du film, qui passera pour un manque de subtilité pour aborder les thèmes pour certains, est en réalité un moyen pour Tom Ford de faire entrer l'auditoire dans son film. Rapidement, les personnages étant tous symboliques d'autre chose dans le roman, le spectateur sera ravi de pouvoir démêler les pistes, et ainsi comprendre la première couche du film.


La fin devient alors bouleversante pour le spectateur autant que pour Susan. Pour Tom Ford, comprendre une oeuvre ne veut pas dire être créatif, et va même plus loin dans le désespoir des yeux tristes de Susan : la créativité ne s'acquiert pas. Conclusion terrible pour quelqu'un cherchant à fuir une fatalité ("We all eventually turn into our mothers") l'empêchant pour toujours d'être ce qu'elle souhaite devenir.

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le 16 janv. 2017

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