Norma Rae
7.3
Norma Rae

Film de Martin Ritt (1979)

Générique avec musique sirupeuse sur des images de machines d'usine de textile. L'ambiance est posée ? Pas vraiment. Pas de mièvrerie douce dans ce film.

Norma Rae, son père, sa mère (et probablement ses enfants plus tard), travaillent à l'usine de textile d'une petite ville des Etats-Unis. Petite ville baignée dans un traditionalisme et un fatalisme encore bien ancrés dans les mentalités (l'église tous les dimanche matins, la ségrégation des noirs terminée mais encore très palpable, libération des mœurs mal vus).

Norma Rae est une rebelle, une "grande gueule" comme ils l'appellent. Elle ose exiger, râler, dire ce qui ne va pas, s'enflammer dans des colères sans concession lorsque la situation devient trop insoutenable. Mais elle sait aussi se taire et suivre le rang, pour gagner ses quelques dollars de l'heure sans lesquels elle ne pourrait pas nourrir ses gamins.
Norma Rae vit chez ses parents avec ses deux enfants. Veuve trop jeune, elle a la réputation d'être une fille facile parce qu'elle sort avec des types de temps en temps.
Mais tout le monde l'aime bien. Au fond.

Puis débarque Reuben, le syndicaliste juif.
Ça ne remue pas grand chose au début. Les ouvriers ont peur de se faire virer s'ils luis parlent. En plus, il est juif (Norma Rae lui sort toute pleine de franchise : "Wa c'est la première fois que j'en rencontre un ! Vous avez l'air comme nous en fait !").

Reuben qui insiste, qui reste, qui est têtu, qui balance ses tracts, qui a des choses à dire, qui sort du quotidien et de la léthargie habituelle : Norma Rae est intriguée.

Puis, après une accumulation de petites choses pas très réjouissantes (où les ouvriers sont réellement traités comme un outil qu'on utilise jusqu'à ce qu'il se brise), Norma Rae se syndicalise et se lance dans le combat, qui se résume surtout à convaincre les gens de se syndiquer et, au final, d'avoir un syndicat fort à l'usine. Et... une meilleure paye. Voir de meilleurs conditions de travail.

Un film franchement bien fait. Qui montre qu'il est difficile de déplacer une montagne, mais qu'avec beaucoup de persévérance, de sacrifices, de foi et de dialogue, on peut y arriver.
Ritt a un regard franchement humain et très doux envers ces gens enfermés dans l'étau de leur vie, qu'on resserre autant qu'on peut, jusqu'à extraire toute la sève de leur existence.

Des corps rompus. Des bières. Un vieux bar. Toujours les mêmes têtes. Toujours les mêmes regards soumis mais révoltés. Épuisés mais combattants.

Ritt filme aussi vraiment très bien l'usine. Cette atmosphère foisonnante, bruyante (assourdissante), ce rythme imposé, qui semble écraser l'homme qui y travaille. Seule Norma Rae surgit, vive, allant à contre sens, franchissant les espaces. Des moments de fluidité dans un monde figé (deux autres moments de déambulations dans l'usine sont très forts : Reuben qui passe, escorté par tous les patrons qui le surveillent, veulent l'empêcher de faire son boulot. Reuben qui continue à avancer, criant des bonjour partout, serrant des mains. Prouvant que derrière les machines, les espèces de tiges animées, ce sont des êtres humains. Des présences que l'on distingue à peine. Que l'usine avale.
L'autre moment, c'est celui où un gars "fait le foufou" face à l'autorité. Soudainement, marre d'avoir l’œil du patron qui le surveille jusque par-dessus son épaule, se met à sauter d'un endroit à l'autre, à foncer dans des tas de coton, à surgir derrière des rouleaux. L'homme qui prouve qu'il peut y avoir du divertissement, de la joie, dans un travail abrutissant et monocorde. L'homme que Norma Rae épousera).

Un film qu'on pourrait croire anecdotique, presque documentaire, plutôt informatif, et qui pourtant recèle de véritables petits moments de cinéma foutrement bien filmés.
Ritt avait le sens de la mise en scène, du mouvement, des corps, des machines.

Et puis, les relations humaines sont vraiment bien rendues. Peu de mots. Peu de démonstration. Mais de la sincérité, toujours. (Et merci de nous épargner la bluette, d'être tellement plus fin et plus intelligent que ça).

Bref.
Une vraie surprise !

(Et puis j'aime toujours voir ce genre de films qui ont plein d'acteurs qu'on connaît depuis toujours sans jamais vraiment savoir qui ils sont. Les voir "avant", jeunes, avec l'énergie du plus tard)

Sally Field colle parfaitement à son rôle de femme pleine d'énergie, qui se paye le culot de la liberté, sans rejeter les codes et les gens.

Beau Bridges sait faire le gentil bon gars pragmatique, compréhensible (à coup de gueulante parfois) et amoureux discret.

Ron Leibman (que je ne connaissais pas) en syndicaliste impliqué, charismatique par la foi qu'il porte en ses convictions.

Grace Zabriskie, qui joue encore une "vieille" femme (je crois qu'elle n'a jamais été vraiment jeune) avec un petit grain de folie, une nervosité à fleur de peau pleine de fissures prêtes à dégorger de malheurs.
Queenie
8
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le 5 août 2013

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