La majorité des sorties "Director's Cut" ne sont pas indispensables. Celle de Nymphomaniac, constituant la version donnée, clé en main, à la productrice par Lars Von Trier, aurait dû être l'unique façon de voir ce film dont l’âme, s'il avait fallu trouver l'arbre pour la représenter, aurait été tortueuse, foisonnante, pourvue de racines aussi profondément ancrées dans le sol que ses branches se lèveraient hautes. Les règles de la grande distribution commirent l'ironie d'exciser l'histoire d'une nymphomane. 1h30 d'images brutales ou froidement sexuelles, une scène "d'auto-mutilation" à gerber mais loin d'être gratuite... Et puis cette petite phrase, discrètement prélevée comme si elle ne signifiait rien ou si peu : « Les qualités humaines peuvent se résumer en un mot : l’hypocrisie »


Histoire dans une histoire, la narration de la vie de Joe par elle-même découle du fil de ses humeurs, au gré des détails prélevés de la petite pièce où Seligman, son négatif sexuel, la recueille. Ces deux compagnons d'une nuit feront chacun des efforts pour connecter leurs vies et leurs émotions : elle, en enjolivant de probables mensonges et réinterprétations un récit dramatique, auquel la jeune femme saura donner la forme et les péripéties romanesques qu'affectionnent son interlocuteur ; lui, doux et calme, en formant des parallèles et en connectant les idées et les anecdotes comme s'il tricotait, avec maladresse et bonne volonté, un manteau des souvenirs de sa nouvelle amie.


Joe est un bourreau, Joe est une victime. Joe baise jusqu'à dix fois par jour, et ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs. Joe comprend les plus bas-instincts de l'Homme mais pas ses capacités d'amour, et les rejettera avec force sans qu'on puisse déterminer à quel degré elle les nie, à quel degré elle s'en refuse l'accès. Épuisée par le combat, cette nuit est la dernière chance d'une vie et le vieil homme pourrait être la planche du salut.


Cette petite phrase qui résonne, des lèvres glacées de son auteure : « Les qualités humaines peuvent se résumer en un mot : l’hypocrisie » ...


Vrai drame, film fleuve aux courants furieux, Nymphomaniac malgré la drôlerie de quelques scènes réaffirme le pessimisme de Lars Von Trier et enfonce un clou supplémentaire du cercueil de chacun de ses spectateurs. On ne ressort pas indemne de l'histoire de son héroïne, construite entièrement pour une conclusion qui, violente jusque dans son extrême brièveté, fait revenir à ma mémoire les souvenirs poussiéreux du vieil allemand Hegel dans sa phénoménologie de l'esprit : nos consciences se meurent de ne pouvoir, jusque dans le stupre et la débauche, jamais s'unir aux consciences inaccessibles de ces autres, irréductiblement autres, et les désirs s'entrechoquent sans pouvoir fusionner...


... Sauf à se mentir d'amour pour un temps, avant de sombrer dans la démence des derniers instants.

Pognon
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le 19 janv. 2016

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