Lars Von Trier aurait dû écrire un roman ou un essai pour nous faire partager ses points de vue sur la nymphomanie. À moins qu'il ne s'agisse pas de ça, mais d'un portrait de femme, patati patata. Quoiqu'il en soit, bavard au possible, comme lesté de plomb, effroyablement intellectuel, Nymphomaniac - Vol. 1 est aussi lourd que le cours magistral d'un vieux professeur d'université.

On ne sait pas trop ce qu'est ce film. Coupé en deux, remonté par les producteurs, vrai faux bricolage, Nymphomaniac - Vol. 1 a tout du brouillon. Si le début est magnifique, la mise en scène maîtrisée, le [triste] parti pris colorimétrique assumé, on assiste à une sorte de non film, objet bâtard capable du meilleur comme du pire.

Si les dialogues entre Joe adulte et le vieux Seligman peuvent soulever des parallèles intéressants entre l'addiction de la jeune femme et la pêche à la mouche, trois de ses amants et la polyphonie, la surabondance d'analyses le plus souvent inutiles, les allers-retours passé-présent contreproductifs, et surtout le récit en voix-off particulièrement écrasant, assomment le spectateur et enferment le films dans une bulle à l'hermétisme farouche. De fait, point de sensualité, encore moins de sexualité, aucun désir, juste la branlette intellectuelle d'un auteur qui n'a pas trouvé la grâce.

On s'étonnera au passage que Joe enfant ait les yeux bleus, que Stacy Martin ne ressemble aucunement à Charlotte Gainsbourg, mais peu importe. On se demandera aussi pourquoi Lars Von Trier éprouve le besoin de rappeler la différence entre antisionisme et antisémitisme, mais c'est également de peu d'importance. Le film parle finalement si peu de sexualité qu'on lui cherche d'autres finalités. En vain.

Une scène géniale se niche au creux du film, celle où une femme trompée et délaissée se pointe chez Joe avec ses trois fils, pour qu'ils voient le lit où leur père s'abandonne - et les abandonne tous. Vive, absurde et désespérée, menée magistralement par une Uma Thurman impressionnante, cette séquence est aussi drôle que terrifiante.

Le casting est aussi inégal qu'hétérogène. Aux côtés d'une Charlotte Gainsbourg éteinte, Stellan Skarsgård impose une autorité rassurante. Stacy Martin est bien mignonne mais assez fadasse, quand Shia LaBeouf se montre plutôt convaincant. Si on se demande bien ce que Christian Slater fait là, on saluera à nouveau la magistrale apparition d'Uma Thurman.

Il faudra attendre la deuxième partie pour se prononcer. Dans l'attente, force est de constater que Lars Von Trier a ici perdu toute la grâce qu'il avait atteinte dans son précédent film, le magnifique Melancholia.
pierreAfeu
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le 5 janv. 2014

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pierreAfeu

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