L’après Melancholia s’était annoncé d’emblée inquiétant. Ce dernier film présenté à Cannnes avait séduit une large partie du public, tant son message et sa forme paraissait simple et formel (en réalité l’inverse, bien entendu). Dans la filmographie du danois, Melancholia s’inscrivait dans une continuité logique : celle de films d’atmosphère explorant les mystères féminins.

Le problème génialissime de Nymphomaniac est précisément cet aspect de renouvellement prolifique que nous n’avions encore jamais vu chez LVT, du moins pas dans un seul film, bien que celui-ci continue de s’interroger sur la psychologie féminine. L’expérimental Dogville, le documentée Europa, ou encore l’inutile Antichrist dévoilaient différentes approches et caractéristiques de la forme de son cinéma. En ce sens, Nymphomaniac apparaît dès la première partie comme un film somme, une caverne d’Ali baba du style LVT, toujours avec le sexe comme thématique omniprésente mais jamais autant explicitée.

Un scénario racontant la vie d’une nymphomane paraît d’abord bien léger pour ce type de cinéaste. La complexité qui en ressort surprend, intrigue, amène à réfléchir, mais n’ennuie jamais. Certains critiques ont effectivement comparé Nymphomaniac à une chimère, un monstre mythologique hybridé entre plusieurs espèces. L’image en est la preuve la plus évidente : un filmage quasi amateur, courtes focales sur les visages, images d’archives, en noir et blanc, ou même un écran noir (splendide scène d’ouverture). Il ne manquerai plus que l’animation pour parfaire ce tableau (à la manière de Quentin Tarantino dans Kill Bill).
L’esthétique du film échappe à une catégorisation que l’on pouvait faire antérieurement des films de LVT. Cet homme malin a même décidé de coller des écritures, des chiffres, des schémas, de faire des chapitres… Un gros bordel ? Pas vraiment, car l’harmonie qui s’en dégage est le fruit d’un gros travail de montage et d’assemblages d’idées absurdes et maladives. Ces analogies entre l’être humain et l’animal illustrent brillamment le monde à travers la caméra de LVT, misanthrope et malsain (le sommet en cette matière était à l’évidence son film dogme : Les Idiots). Est-on obligé d’adhérer à ce flux de savoir pour apprécier la projection ? Nymphomaniac reste aussi très visuel et sonore, où nous pouvons le plus souvent nous laisser porter sans arrière pensée, même si l’histoire de la nymphe nous paraît parfois distante.

La confrontation de Joe, femme malade et au cerveau détruit, au personnage de Stellan Skarsgard, intellectuel de premier plan, demeure jouissive de bout en bout. Ce n’est pas un récit banal que nous fait Joe, mais surtout une mise en images de souvenirs plus brutaux les uns que les autres. Stacy Martin ne ressemble aucunement à Charlotte Gainsbourg (bien qu’elle ait été prise au casting pour cette raison…), car la Joe jeune n’est autre que celle imaginée par son propre personnage de 50 ans. Cette dernière actrice est indéniablement une grande révélation, tout comme Emily Mortimer dans Breaking the waves. L’homme qu’interprète Stellan Skarsgard essaye de comprendre la nymphomanie de Joe en y apportant son savoir, sa connaissance, devenant ainsi une interprétation purement personnelle. Le spectateur, lui aussi, tente d’analyser ces tranches de vie sexuelle ambigües. Melancholia était un film d’atmosphère, Nymphomaniac est un film psychologique, mis en forme de manière avant gardiste. Ces quelques écriteaux schématisent la vie de Joe après coup, nous rappelant le concept de Dogville. La suite de Fibonacci se retrouvant dans le nombre des premières pénétrations est un délire métaphysique tout sauf sérieux. LVT ne cherche jamais à expliquer scolairement cette nymphomanie, mais s’amuse à chercher des explications dans une nature qu’il revisite, tout comme le sexe féminin. Loin du tapis rouge cannois, le cinéaste s’amuse et provoque comme un adolescent. Si la mise en scène n’était pas autant maîtrisée (le film se termine sur un somptueux split screen), le tout ne pourrait évidemment pas fonctionner et deviendrait ridicule.

L’érotisme présent dans cette première partie en fait tout sauf le film d’auteur pornographique annoncé par la promotion. Ces nombreuses séquences établissent un malaise et un rejet pour l’acte (le sexe pour Joe devient quotidien, fade, et purement pratique), étant finalement très proche de l’inhalation de drogues. Les ébats d’Adèle et d’Emma dans le film d’Abdellatif Kechiche montraient la passion. Ceux de Joe et de Jérôme (Shia LaBeouf) montrent une sorte d’abrutissement et d’inintérêt dans les rapports. Nymphomaniac est-il aussi une histoire d’amour ? Patience jusqu’aux prochains chapitres pour la prise d’un nouveau recul, d’une nouvelle interprétation de ce chef d’œuvre inattendu, aussi sale et provocateur que sublime et passionnant.
Forrest
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le 5 janv. 2014

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