Et le Peuple en larmes finit par prendre les armes

L'autre grand film de propagande soviétique par Eisenstein après son Cuirassé Potemkine. Octobre bien sûr fait quelques relectures et approximations de l'Histoire :


On commence avec la Révolution de Février 1917 présentée avec un déboulonnage de statue du tsar Alexandre III (père de Nicolas II) et une fraternisation entre soldats allemands et russes lors de la Première Guerre Mondiale.


Mais les deux évènements sont gâchés par le gouvernement provisoire à dominance menchévique (rivale plus "modérée" des soviets) et son chef Kerenski présenté comme un bourgeois se prenant pour Napoléon ou César tenté par la royauté (donc comme un nouveau Tsar, l'équivalent russe du dirigeant romain).


Alors que le Cuirassé Potemkine dénonçait les officiers et prêtres tsaristes et incitait à l'union prolétaires + bourgeois, Octobre est littéralement anti-bourgeois.


Car le bourgeois est considéré comme réactionnaire et assassin comme les Journées de Juillet 1917 où gouvernement et femmes à ombrelles charcutent du manifestant soviet tout en riant à pleines dents. La scène des ponts levés et du cheval suspendu (aussi mémorable que celle du landau pour le Cuirassé Potemkine) signifie littéralement que les mencheviks coupent les ponts avec les soviets.


Kerenski est donc vu comme le César Napoléon bourgeois, mais toutefois incapable de lutter contre le général Kornilov, accusé d'outrepasser ses prérogatives donnés par le gouvernement provisoire à l'été 1917. Kornilov, sous prétexte de tuer "les traîtres" bolcheviks, passe pour un réac tenté par la Restauration tsariste (d'où le retour arrière qui rétablit la statue d'Alexandre III).


Et les "traîtres" bolcheviks sont ensuite présentés comme de vrais patriotes en défendant le pays et même le gouvernement provisoire par compromis contre un Kornilov voulant replonger la Russie dans le passé qui ne passe pas.


Passé "l'affaire Kornilov", les Soviets sont en faits déjà mettre du pays mais pas officiellement. C'est donc là qu'on a le célèbre grand final qui a rendu Octobre célèbre. Toutefois, il faut savoir que malgré l'intro du film prétendant que le film est une reconstitution fidèle, c'est en réalité loin d'être le cas :


Si les soviets ont bien pris le Palais d'hiver de Petrograd le 25 octobre 1917 et forcé le gouvernement provisoire à abdiquer, avec ensuite le Congrés des ouvriers et paysans russes approuvant la Révolution dans les faits il n'y avait pas autant de défenses et de résistance rencontrées par les soviets ce jour-là.


Si la présence des élèves-officiers est avérée, c'est moins le cas des bataillons de choc féminins (mais les cosaques restant neutres est plus fidèle à la réalité). Des historiens tels que Richard Pipes disent même que les soviets ont obtenu la destitution du gouvernement Kerenski par coup de bluff (les marins soviets n'avaient pas réussi à avoir les canons comme sur l'Aurore, mais le gouvernement croyait que si et a pris peur).


Mais qu'à cela ne tienne, la scène reste symbolique du peuple révolutionnaire en armes excédé par les mauvaises décisions du gouvernement. La double ironie est qu'on présente les mencheviks au Congrès des soviets accusant les révolutionnaires d'apporter la guerre et la famine. L'Histoire montre certes que ce fut le cas ... mais pas en 1917 où ce sont au contraire les tsaristes puis Kerenski les responsables de la guerre extérieure et de la famine en Russie. Les "méchants" mencheviks avaient raison mais au mauvais moment.


Octobre se finit sur le peuple révolutionnaire victorieux et votant à l'unanimité les décrets pour la Paix, le Pain et la Terre. C'est avec beaucoup de technicité et de communication que Eisenstein convainc le public de la bonne volonté de la glorieuse Révolution d'Octobre, aboutissement de plusieurs années de sacrifices et de souffrances causées par les bourgeois et les privilégiés.


Le stalinisme et autres perversions totalitaristes ont certes ruiné le communisme, mais il n'empêche qu'encore dans le monde ultralibéral économique aujourd'hui, l'on voudrait vivre une Révolution comme dans un film d'Eisenstein.

darevenin
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le 8 avr. 2021

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