L'Ogre qui aurait dû avoir plus faim

Il était une fois une institutrice et son jeune fils partis vivre dans un village reculé de la campagne française pour y prendre un nouveau départ. Mais, en ces lieux, quelque chose semblait rôder, se repaissant des plus jeunes créatures prises au piège de son ombre funeste...


Après "Teddy" et "La Nuée", on pourrait presque considérer "Ogre" comme le dernier volet d'un triptyque distribué sous le label "The Jokers" et dont la directive centrale serait de prendre pour base le cadre de la ruralité française en vue de donner de nouvelles perspectives au cinéma de genre national.
Dans la continuité de ces deux longs-métrages, l'élément fantastique central de "Ogre" (et donc le monstre de conte qui lui donne son titre) est une fois de plus utilisé avant tout comme un ressort métaphorique, représentation d'une part d'ombre enfouie et grandissante chez l'un de ses personnages principaux et dont les manifestations horrifiques ont pour but de conduire à une possible (et peut-être dramatique) catharsis des maux qui l'habitent.
Ici, le film d'Arnaud Malherbe s'appuie donc sur le mal-être de Jules, un petit garçon ostracisé par les jeunes de son âge à cause de ses problèmes d'audition et surtout déchiré entre le traumatisme d'un passé violent et l'arrivée d'une figure masculine invasive (le médecin du village) dans la nouvelle vie que sa mère et lui s'étaient choisis pour se reconstruire ensemble. Ainsi, dans une espèce d'échelle croissante et évolutive de "bulles" amenées irrémédiablement à se percuter entre elles dans le dernier acte, la forteresse de solitude entretenue par le petit garçon grâce au déclenchement de son appareil auditif va tenter de faire rempart à la dynamique familiale bouleversée par celui qui y est considéré comme un intrus, elle-même sous l'influence directe du désespoir de ce coin de campagne laissé à son sort et désormais habité par une obscurité intemporelle y ayant repris ses droits pour se nourrir de ses êtres les plus innocents...


Toutefois, même si son récit essaie d'y mêler d'autres ingrédients comme l'imaginaire d'un manga dont Jules est fan (bon, des deux pages qu'il paraît lire à l'infini) et quelques références amusantes aux contes de fée détournées dans le quotidien de ce village, il faut hélas reconnaître que "Ogre" suit un chemin extrêmement balisé qui risque de décevoir à la fois les habitués du fantastique utilisé à des fins métaphoriques et, bien sûr, ceux venus simplement pour frissonner devant un film d'horreur... disons plus premier degré.
Non pas que "Ogre" soit déplaisant à suivre, loin de là même, le film bénéficie d'une belle atmosphère, saisit toute la douleur émotionnelle émanant de ce fils et de cette mère pour l'exprimer visuellement (ce superbe plan fixe sur le visage d'Ana Girardot, toujours irréprochable, hésitant littéralement à embrasser une nouvelle intimité) et l'inscrit de façon cohérente à sa toile de fond où s'entremêle le mythe de l'ogre à la désertification réaliste d'un village ramené à des peurs ancestrales, mais il le fait finalement de manière un peu trop scolaire, peinant à trouver un langage inédit au-delà des canons aujourd'hui devenus familiers de l'elevated horror pour prétendre en devenir une nouvelle référence, et ce même au sein de la petite brèche entrouverte récemment par le cinéma de genre français. C'est d'ailleurs sans doute là que le bât blesse le plus: si on devait le comparer à ses aînés "Teddy" et "La Nuée", cet "Ogre" serait clairement le Petit Poucet de cette trilogie rurale fictive par son manque d'audace. Un comble à s'en perdre volontairement en forêt.

RedArrow
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le 20 avr. 2022

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