Cette critique contient des spoils.
Old Boy s'empare de thèmes forts et les magnifie au travers d'un rendu surréaliste, nostalgique et aux divers degrés de lecture. On est face à un véritable chef-d'œuvre qui ne tombe pas dans la violence gratuite, puisque tout sert un propos plus profond ; ainsi, les indices sont disséminés dans le film, et le spectateur se prend curieusement à ce jeu de devinettes infernales. Ce n'est pas que du gratuit, puisque tous les aspects sont exaltés : la scène de poursuite dans les escaliers fait partie des quelques moments de flottement, apportant un caractère onirique à l'ensemble.
Associé à l'arrangement créatif des scènes et une progression des plans intensifiant les intentions des personnages, Park Chan-Wook offre un trésor d'immersion entre critique sociale et fiction ; critique qui n'est pas sans rappeler la tragédie grecque Œdipe Roi, dans laquelle le héros, ayant commis l'inceste, préfère se crever les yeux afin de ne plus voir la lumière du jour. De cette façon, Oh Dae Su, représentant à la fois lui même et une société aveugle aux tabous, se coupe la langue, symbole de sa culpabilité. Dans la continuité des grands mythes, on retrouve le sujet phare de la malédiction transgénérationnelle, puisque Mi-Do vit les mêmes hallucinations que son père, symbolique prophétique du drame à venir.
Le long-métrage, construit "en pente", montre bien la descente aux enfers du protagoniste. Il commence par l'inhibition la plus accessible qu'est celle de l'ivresse, puis se laisse entraîner par des médias déformant la réalité, jusqu'à se réfugier dans des hallucinations, dont l'interprétation psychanalytique se concentre une fois de plus sur la peur de la solitude et du "qu'en dira-t-on".
Park Chan-Wook nous livre une vision de l'humanité teintée de pessimisme dès le départ, puisque ses personnages sont déjà tous pris à leur propre piège ; à la manière de Kafka, ils se métamorphosent avant de se détruire et se complaire dans leur malheur. La présence des miroirs fait écho à cette idée de déformation d'une réalité trop dure à accepter, et la vitre brisée est annonciatrice d'une psyché détruite par les mensonges. Le long-métrage se conclut sur cette note philosophique, où Oh Dae Su préfèrera une fois de plus se terrer dans des chimères hypnotiques éternelles plutôt que d'acceper son destin (amor fati).
Old Boy est une claque phénoménale qui séduit par la subtilité de sa symbolique, son esthétique ingénieuse, sa sublimation de l'atroce et ses multiples inspirations. 9,5/10