Scalpel rouillé sur chef-d’œuvre immaculé

Old Boy de Spike Lee — ou l’art consommé du remake qui s’évertue à dérober à l’original son mystère pour lui substituer une stricte démonstration de tout ce qu’il faut éviter au cinéma moderne.


Il y a, dans cette entreprise, une volonté presque aristocratique de travestir la douleur en démonstration : la fable coréenne de Park Chan-wook, qui jaillissait de l’ombre comme une tragédie baroque, se voit ici recouverte d’un vernis d’explications gratuites, d’intentions revendiquées et d’un sérieux qui n’ose jamais lâcher prise sur lui-même. Là où l’original cultivait l’énigme et la terrible poésie de la punition, Spike Lee préfère la mise à plat — un procédé si appliqué qu’on en viendrait presque à admirer l’obstination avec laquelle il réussit à neutraliser toute la densité affective du matériau d’origine.


Technique ? Parfois brillante, souvent pataude : cadrages didactiques, montages qui nous expliquent ce que l’on comprenait fort bien sans explication, et une mise en scène qui, sous prétexte de modernité et d’accessibilité, renonce aux échelles subtiles de la dramaturgie pour reporter tout le poids du récit sur des effets de surface. Les moments de violence, privés de leur force symbolique, se contentent d’exister comme des wristwatches flamboyants — visible mais sans vibration intérieure.


Quant à la thématique, elle est traitée comme un instrument de rhétorique plutôt que comme une matière vivante. Il n’est ici ni profondeur ni retournement — seulement la conviction, plus ou moins avouée, que l’on a le droit d’éclairer chaque plan par un projecteur idéologique. On pensera, pudiquement, aux invectives publiques qui ont parfois ponctué la carrière de son auteur à propos d’autres cinéastes (oui, Messieurs Tarantino et consorts) : exercice d’autant plus curieux lorsqu’il consiste moins à revisiter sa propre filmographie qu’à renvoyer systématiquement l’autre à ses prétendues fautes. Le geste est si appuyé qu’on peut, sans outrance, s’interroger — et l’on s’interrogera — sur la façon dont la mise en scène instrumentalise la question raciale comme une jaquette morale censée faciliter le jugement ; interrogation qui tient moins du procès d’intention que d’une analyse du style : ici la posture politique sert parfois de cache-misère quand elle ne fait pas office d’argument de vente.


À la comparaison, l’original est — pardonnez la platitude sincère — infiniment supérieur : parce qu’il ose la crainte, l’obscurité, l’ambiguïté ; parce qu’il sait que le spectateur mérite d’être heurté plutôt que guidé par la main. Spike Lee, dans sa version, a préféré la lampe torche au charbon ardent.


Et puisqu’il faut bien accorder quelques servitudes à la bienséance critique : oui, la photographie connaît des fulgurances ; oui, certains cadres fonctionnent, et l’on sent parfois poindre le cinéaste capable d’un plan. Mais ces réussites, petites lamelles de lumière, ne font que souligner le reste — un film qui se prend au sérieux au point d’oublier pourquoi il existe. Le cynisme final ? Il n’est pas ironique mais tristement appliqué : Old Boy version Lee est un remake qui prend un chef-d’œuvre pour modèle et, par une série de décisions formelles et rhétoriques, le réduit à une démonstration polie. Quel talent, vraiment — pour nous priver de l’essentiel.

Kelemvor

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