Halloween au cinéma Les 3 Luxembourg, la réalisatrice portugaise Laura Carreira présentait “On Falling” aux côtés du sociologue David Gaborieau et du journaliste Ludovic Lamant de Mediapart — un Q&A vraiment brillant.
Carreira n’a jamais travaillé en entrepôt, mais elle a mené de nombreux entretiens avec des ouvriers et ouvrières pour comprendre les gestes, les rythmes et la vie quotidienne du travail logistique. Impossible de filmer directement à l’intérieur de ces espaces clos, la fiction devient un moyen de vérité où parole et regard peuvent circuler librement. Le film montre comment le travail structure toute la vie, jusqu’à l’épuisement et l’isolement. Les rares espaces de sociabilité se limitent à la cuisine partagée ou aux pauses à la cantine. La cadence, souvent floue mais constante, maintient une pression diffuse et ininterrompue. David Gaborieau, qui a lui-même travaillé en intérim dans des entrepôts, confirme la justesse de cette représentation : un univers clos, répétitif, marqué par une fatigue physique et mentale profonde. Le film évite misérabilisme ou héroïsme et montre simplement le réel dans sa dureté ordinaire — avec parfois un humour subtil. Tous deux soulignent la “gamification” du travail chez Amazon — transformer la tâche en jeu pour mieux contrôler les salariées — et l’isolement social et psychique que cela engendre. À la fin de la journée, beaucoup restent cloué·es à leur téléphone, regardant les mêmes séries sur Netflix, incapables de se projeter dans autre chose.
Mais On Falling n’est pas sans lumière : Carreira insiste sur les petits gestes de résistance, les micro-solidarités — un échange d’objet, une panne, un mot échangé. Ce sont ces moments où l’humain réapparaît quand la machine s’arrête. Le montage hypnotique, réalisé par Will Anderson, prolonge les gros plans et leur donne une dimension presque fantomatique. Nous, spectateurs, devenons détectives de ce jeu, attentifs à ce que signifient la corde ou la poupée qui pleure dans cette scène. Un réalisme social à la Ken Loach, traversé d’une douceur spectrale à la Chantal Akerman. “On Falling” rend l’ordinaire intense et happe le spectateur dans le rythme et la vie souvent invisible des ouvriers et ouvrières. J’ai été touché par le jeu des acteurs « pro » et « non‑pro », et par les petites touches d’Écosse — une pâtisserie ou un parc à Édimbourg — qui offrent un rare souffle hors de ce monde clos. Et regardez bien la boîte sur le tapis roulant qui tombe… 📦 Qu’est‑ce qu’on est en train de regarder là ?
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