De tous les réalisateurs allemands contemporains, Christian Petzold est sans doute celui chez lequel la fascination de l’eau est la plus grande, s’affirmant hautement dès « Yella » (2007), permettant à « Jerichow » (2008) de trouver son point d’achèvement, ou à « Barbara » (2012) son objectif et point de fuite. Rien d’étonnant à ce que la figure légendaire des ondines, approchée mainte et mainte fois, par la littérature ou le conte populaire (Paracelse, Staufenberg, Shakespeare, Grimm, Afanassiev, Pouchkine, Brentano, Arnim, Fouqué, Lortzing, Hoffmann, Andersen, Wilde, Poe, Bertrand, Apollinaire, Giraudoux, Bachmann...) ait exercé sur lui sa fascination et que le réalisateur et scénariste ait décidé de poser son regard et sa caméra sur ces êtres de l’eau.


À plus forte raison lorsque l’ « Ondine » en question se trouve dotée du regard vert de la belle Paula Beer et qu’elle peut se voir à nouveau unie à celui avec lequel elle formait déjà un couple si magnétique dans le précédent film de Petzold, « Transit » (2018) : Franz Rogowski. Abandonnée par Johannes (Jacob Matschenz), la jeune femme, guide conférencière en free-lance, rencontre providentiellement Christoph, comme jetée dans ses bras par une histoire d’eau qui aurait décidé de leur sort. Ce nouvel amour, qui lui apporte la confiance et la plénitude que lui refusait le précédent, parviendra-t-il à arracher Ondine à son destin de créature mythique, condamnée à se venger de celui qui l’a trahie puis à se détourner du monde ? Mais la naïade conçue par Petzold a pris pied dans le Berlin contemporain, qu’elle parcourt, survole par le biais de maquettes, et décrypte pour ses auditeurs. Un Berlin dans lequel est soulignée la présence de l’eau, puisqu’il tiendrait son nom des marais asséchés sur lesquels il s’est édifié. Un Berlin que la conférencière en architecture décrit plus comme organique que comme minéral, insistant sur ses blessures, ses remembrements et ses cicatrices, à la différence de celle qui lui succédera et qui ne mettra en relief que les aspects fonciers et financiers... Un Berlin vivant, donc. Au nom de cette vie qu’elle défend et qu’elle goûte si intensément au creux des épaules de Christoph, qui exerce le métier de plongeur-scaphandrier, Ondine tentera d’oublier la vengeance et de vivre. Mais il n’est pas dit que les êtres de légende disposent si librement de leur destin...


Les scènes de plongée étant nombreuses, le travail sur les sons, réalisé par Andreas Mücke-Niesytka, assisté de trois concepteurs sonores, est donc particulièrement important : bruits d’eau, de respiration, parfois s’élevant en bulles d’air, de souffle, de pulsations... Sublimant cette bande-son, l’adagio du concerto en ré mineur BWW 974 de Bach, égrène ses notes cristallines, argentines, comme autant de gouttelettes d’eau, disant les mouvements de l’âme, la joie, la plénitude, l’hésitation, le doute... La photographie de Hans Fromm capte magnifiquement les différents états de l’eau, son éclat, ses couleurs, sa transparence. L’action se déroulant en été, les verts végétaux deviennent aquatiques, brouillant la frontière entre les éléments liquide et aérien. De même, l’appartement aux teintes d’eau qu’occupe Ondine devient vide de sens lorsque Christoph, symboliquement estropié, le parcourt avec affolement, en prenant appui sur des béquilles, une fois que la jeune femme n’y réside plus...


Tentant d’échapper à la tradition médiévale du « beau conte d’amour et de mort », Petzold livre ici une intéressante approche de la figure littéraire et mythique de l’ondine. Une approche dans laquelle cette créature, tout en conservant son essence tragique, tenterait toutefois de vivre, ou à défaut de laisser vivre.

AnneSchneider
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le 13 oct. 2020

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Anne Schneider

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