Avant de voir ce film, je ne connaissais pas Jarmusch. Qu'est ce que ça change au jugement que je vais porter à son film ? Rien, mais il me faut bien une phrase introductive. J'ai essayé de trouver des pistes de lecture du film, le tout ponctué de mon avis personnel ... Si vous avez l'impression que je n'ai pas compris quelque chose, ou qu'une partie est intéressante et mériterait d'être plus développée, réagissez. De toute façon je l'ai vu qu'une seule fois pour l'instant, donc je ne peux pas avoir tout décelé. Je ne spoile pas d'élèments importants de la trame scénaristique (rien de plus que ce que le synopsis et la BA nous apprend).

Donc. Jarmusch a voulu nous parler de son érudition, de son amour de l'Art et de la Science, puis de l'Amour tout court. Force est de constater la pauvreté scénaristique, qui pour ma part a été contrebalancée par l'ambiance amenée (tu peux aussi dire merci à ton chef opé, je pense.) et la performance des deux acteurs principaux (qui n'est pas non plus mémorable, hein).

Donc nous disions donc, l'amour de l'Art, de la Science. Sauf qu'en fait en pratique, c'est un peu maladroit, cela se traduit par une avalanche de namedropping, d'anecdotes érudites en veux tu en voilà. Au début du film c'est plutôt plaisant quand on est soi-même un tant soi peu instruit (on se gargarise aussi un peu, à l'image de Jarmusch nan ?), quand Adam et son pote déballent ces magnifiques guitares, quand ils parlent de musique, de choses et d'autres. Sauf que quand c'est ça tout au long du film, quand les personnages nomment la faune et la flore par leurs noms savants en latin, quand on nous donne la date de la plupart des objets dont ils parlent, c'est lourd. Parenthèse, j'avoue avoir souri au passage sur la naine blanche, je me suis un peu reconnu, c'est passionnant les étoiles.

Et visiblement pour Jarmusch il n'y a pas de juste milieu. Parce que quand Ava débarque, c'est un déluge de connerie qui s'abat. C'est la jeunesse stupide, idiote, victime de la société de consommation qui est incarnée ici. Elle ne se nourrit pas, ne se délècte pas, elle ne sait pas le faire, elle gobe, elle ingère, elle incarne ces zombies stupides et irréfléchis qui avalent ce qui leur passent sous la main, ce qu'on leur donne, et réfléchissent ensuite. Enfin non, ils ne réfléchissent pas, et ne cherchent pas à se remettre en cause, en fait. Elle est le contraire du couple, qui eux sont des esthètes, ne se délectent que du meilleur, que de type O négatif. D'ailleurs la séquence où ils prennent leur verre est suresthétisée. Effet qui tombe à moitié à plat lorsque c'est au tour d'Ava, qui ne prend pas vraiment son temps, qui descends les réserves sans se soucier. S'ajoute ici à la liste de ses défauts déjà longue un certain manque d'esprit critique, de discernement, incapable de faire la différence entre un bon type O négatif, et un sang commun, voire contaminé par des drogues ou autres maladies. Bref Ava c'est le pire du pire.

Outre l'introduction de ce personnage outrageusement énervant, incarnant l'idiotie de cette génération #yolo, qui fait passer ses sens avant son esprit, pensant avant tout aux sorties plutôt qu'aux grands auteurs, elle se paie le luxe de banaliser le film. Car oui, à partir du moment où ce personnage entre dans le film, il y sème des péripéties qui au final se révèlent plates, inintéressantes, desservant le propos initial du film, totalement banales et vues mille et unes fois dans d'autres films. Hey, surtout si jamais vous croisez quelqu'un qui n'a pas un sens esthétique développé, évitez le comme la peste, ou il s'empressera de vous mettre dans la panade! J'aurais préféré que Jarmusch trouve un moyen d'étoffer son propos, ou raccourcisse son film plutôt que de nous servir de la merde sur un plateau d'argent.

Parce que du point de vue de la forme le film est bon. Surtout la première partie, ce qui rend du coup le goût de cette seconde partie encore plus amer, comment digérer ça après s'être délecté d'une mise en scène aussi plaisante ? Jarmusch a pris son temps pour nous présenter ses personnages. Personnages qui prennent tout autant leur temps pour vivre et on nous le fait ressentir, les filmant au ralenti, quelques plans séquences ici et là, des transitions/fondus très lentes. Les ballades nocturnes dans Détroit passent quasiment pour des rêves, ont un certain côté éthéré indescriptible qui m'a littéralement envoûté. J'avais envie d'être avec eux, à visiter ces quartiers oubliés, déjà qu'avant de voir le film j'avais une certaine fascination pour cette ville, alors ... Ces séquences sont assez empruntes de mélancolie, d'ailleurs je crois bien qu'on y trouve de la compassion quand les deux s'attristent sur le sort de la ville, cette "victime des zombies", et parient sur une éventuelle renaissance. Je crois bien que ça ne m'aurait pas déplu que le film dérive sur une symphonie urbaine. D'ailleurs par la suite il y'a une tentative de recréation de ces ballades nocturnes dans les rues de Tanger, mais ça fonctionne pas. Non, décidemment la seconde partie est vraiment décevante ...

Bref, est-ce qu'à force d'érudition on devient vraiment un "snob prétentieux" ? Moi à un moment je me suis quand même posé la question, les personnages principaux souffrant tout de même d'une énorme propension à la condescendance, à s'enfermer et refaire le monde dans leur coin, on a l'impression que cette élite sont ceux détenant les réponses à toutes les questions, observant de haut la masse grouillante que forme les humains. Alors oui, c'est le cas mais que faire face à cette masse idiote ? Propager l'Art, mais ici de façon ésotérique, il est réservé aux initiés, aux intéressés, on range ses cassettes de démos expérimentales en présence d'imbéciles qui n'y verraient là qu'un moyen d'en tirer de l'argent, on transmet son savoir à un disciple. D'ailleurs à la fin du film Jarmush s'atelle lui-même à la tâche, montre le chemin et cherche à nous faire connaître une chanteuse. D'ailleurs, cette promotion, apparaître dans une telle production reviendra à la faire largement connaître, est à mon sens assez ironique puisque Adam réplique qu'elle "a trop de talent pour ça". (ça sonne assez hipster comme réplique, d'autant plus que les personnages se cachent derrière des Wayfarer... haha).

Au final "Only Lovers Left Alive", ceux qui restent vivants, ce sont les amoureux, oui mais outre la référence au couple du film, le titre prend un double sens puisque ce sont les amoureux de l'Art qui restent, à la fois au dessus des ignares, et restent vivants métaphoriquement parlant, ne sont pas que des consommateurs sans âme, ils sont actifs dans leur rapport avec l'Art. Voilà ce qu'on nous propose pour pallier à l'ignorance générale, vivre avec, l'éviter, et passer le mot entre initiés, c'est quelque peu élitiste comme projet. Le film s'avère d'autant plus élitiste que Adam et Eve ne sont autres que le couple parfait, le Yin et le Yang que Jarmush propose pour refaire un monde correct où il fait bon vivre. On aime ou on aime pas. On est érudit ou on ne l'est pas. Haters gonna hate.


P.S. Un vol Détroit - Paris sans croiser la lueur des rayons de soleil, possible, Mr. l'érudit ?
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le 19 févr. 2014

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