Oppenheimer nous fait vivre une introspection hors du commun au cœur de la conscience d’un des plus importants scientifiques du 20e siècle, celui qui, comme Prométhée, a donné aux Hommes un pouvoir qui les dépassent, capable de les détruire à jamais. Au travers de son nouveau chef d’œuvre, Christophe Nolan nous fait pénétrer de la plus belle des manières dans l’intimité de Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique.

En effet, le film de Nolan n’est autre qu’un thriller psychologique nous emmenant aux tréfonds des remords de l’homme à l’origine du basculement de l’ordre mondial. L’immense Cillian Murphy nous livre ici une prestation d’exception. Ce héros digne d’une tragédie grecque nous ouvre les portes de son génie, de sa vision du monde, de ses angoisses, mais surtout de sa fatalité. Oppenheimer rêvait d’un monde où la paix serait inéluctable grâce au pouvoir dissuasif de son invention mais c’est finalement le chaos et la soif de pouvoir de l’Homme qui triompheront.

Ce point de bascule de l’existence humaine nous est livré au travers de la scène la plus spectaculaire du film : l’essai atomique Trinité. Après nous avoir tenus en haleine pendant plusieurs dizaines de minutes sous l’impulsion d’un compte à rebours qui nous donne des frissons et une musique d’opéra à couper le souffle, Nolan déjoue finalement les attentes des spectateurs en nous proposant, non pas une explosion assourdissante mais au contraire un silence envoutant, hors du temps, symbolisant l’atteinte d’un point de non-retour dans l’histoire de l’humanité. Son créateur, Oppenheimer, tout comme le spectateur, est à la fois saisi par la fascination et l’horreur. L’ordre mondial ne sera plus jamais le même, l’Homme est « devenu la mort, le destructeur des mondes ».

La question philosophique posée par Nolan est finalement la suivante : comment transcender le fardeau insoutenable de la conscience laissé par cet acte irréparable ? Tel Adam banni du jardin d’Eden après avoir goûté au fruit défendu de la connaissance, Oppenheimer semble répéter l’histoire. Car oui, le physicien le sait, il a offert au monde la connaissance de la réaction en chaine et de la fission nucléaire ouvrant la voie à la destruction de notre monde. Le prix à payer ? Les portes de la quiétude à tout jamais fermées. Par deux fois Nolan mettra en en avant l’impossibilité du physicien à trouver de la compassion auprès de ceux qui l’entourent, comme si le droit même d’avoir de la peine lui était interdit. Une première scène presque prémonitoire où Kitty, son épouse, lui dira les mots suivants après avoir appris la mort de son amante : « Tu n'as pas le droit de commettre un péché et ensuite demander à ce que nous nous sentions désolés pour toi lorsque viennent les conséquences ». La deuxième scène mettra en avant le rendez-vous historique de 1945 entre R. Oppenheimer et le Président Truman. « J’ai du sang sur les mains », dira le premier, quand l’autre lui répondra que « ce n’est pas au physicien de se plaindre » car c’est bien Truman qui donna l’ordre de bombarder Hiroshima et Nagasaki, tuant plus de 300 000 personnes et laissant à tout jamais la marque de la honte sur notre Histoire.

Robert Oppenheimer semble donc à jamais privé du partage de ses remords et de sa peine avec autrui. Ponctuées de références bibliques tout du long de son œuvre, Christopher Nolan mettra en scène dans la deuxième partie de film un Oppenheimer presque christique, cherchant par tous les moyens à trouver un chemin vers la rédemption, allant jusqu’à endosser un rôle de martyr sur la scène nationale. Rien n’y fera, la paix intérieure semble hors d’atteinte, dévorée par un abime incandescent de feu et de souffre, tout comme ses rêves d’un projet qui visait à stabiliser la paix. La réaction en chaine prête à engloutir notre monde a bel et bien commencé, mais a-t-elle réellement un espoir de s’arrêter ?

FlorianAmry
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le 31 juil. 2023

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