"Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes"

[Cette critique contient quelques spoilers (je n'ai pas réussi à baliser uniquement des phrases) même si cela se limite à la mention de certaines scènes. Si vous ne voulez rien savoir du tout allez voir le film avant].

“Now I am become Death, the destroyer of the world”, cette célèbre citation de J. Robert Oppenheimer résume bien le film éponyme réalisé par Christopher Nolan et qui vient de sortir ce Mercredi dans les salles obscures. Conçu avec une liberté artistique quasiment totale, le dernier long métrage du célèbre réalisateur anglo-américain nous présente à la fois simultanément et successivement trois grandes étapes de la vie du scientifique: ses études ainsi que son ascension, son implication dans le projet Manhattan et ses audiences dans le cadre d’une enquête sur la fuite d’informations vers l’URSS menaçant la sécurité nationale américaine. Nombreuses furent les attentes sur le film, renforcées par la communication intense sur le titre (même si beaucoup éclipsées par l’autre star de la semaine, le long métrage Barbie de Greta Gerwig), mais sont-elles comblées par le film?

Premièrement, s’il y a bien une chose sur laquelle le long métrage marque des points, c’est bien son casting: on remarquera évidemment Cillian Murphy qui sera à l’écran du début à la fin quasiment sans interruption et qui signe une très bonne performance. Les autres personnages ne sont pas en reste avec par exemple l’homme politique (et d’affaire) Lewis Strauss joué par Robert Downey Jr. ou encore le lieutenant-général Leslie Groves campé par Matt Damon. Si sur le papier la distribution du film est vraiment bonne, cela se confirme dans le film et toutes les performances semblent bonnes (aucune n’est choquante en tout cas). On ne peut également parler des performances sans insister sur celles livrées par Emily Blunt (Katherine Oppenheimer) et Florence Pugh (Jean Tatlock) qui sont très qualitatives malgré le peu de temps à l’écran des deux personnages féminins interprétés par les deux actrices.

Concernant la réalisation, on appréciera le rythme des séquences qui s’enchaînent très bien (parfois au détriment de la compréhension, rendue parfois difficile par l’avalanche d’information et de personnages parmi lesquels on peut se perdre parfois), ne laissant pas le spectateur s’ennuyer pour peu qu’il s’intéresse un minimum à la vie du physicien et au contexte historique.

Cela est amplement aidé par la bande originale du film qui, même si elle ne marquera pas forcément, accompagne bien les différents passages du film et reste assez variée.

La photographie, voulue naturelle, est dans l’ensemble bien exécutée même si les échelles de plans ne sont pas forcément d’une variété exceptionnelle. Cette exécution est aidée par la beauté de certains lieux ou encore paysages à travers lesquels le spectateur est transporté comme Los Alamos, endroit dans lequel la majorité du film se déroule et qui est rendu à l‘écran à la fois à travers sa nature et son environnement urbain spécialement reconstitué.

La mise en scène semble elle correcte voire très bonne par moments: on retiendra la scène de l’essai nucléaire Trinity, qui garde les personnages comme éléments principaux et qui rend assez mystérieuse (quasiment divine) l'explosion en ne la montrant pas trop, celle de la fête suivant le bombardement d’Hiroshima, qui montre le décalage entre l’euphorie des participants au projet Manhattan et la réalité du bombardement qu’Oppenheimer s’imagine déjà ainsi que la scène de l’interrogatoire où Oppenheimer est en compagnie de sa femme qui imagine l’adultère que celui-ci a commis. Le reste du temps, cette mise en scène reste modeste, rejoignant le côté naturel de la photographie. Les effets spéciaux a priori sans image de synthèse collent bien avec la vision centrée sur Oppenheimer, ne tombant ainsi pas dans la facilité d’un point de vue que omniscient et qui aurait rendu certaines scènes plus spectaculaires: notamment la scène de l’essai nucléaire de Trinity, qui est filmé au sol plutôt qu’en plan aérien (comme on a pu l’avoir chez David Lynch dans Twin Peaks) et celle du bombardement d’Hiroshima cité précédemment qui est habilement suggéré.

Par ailleurs, le scénario du film se démarque par l'entrelacement de différentes temporalités. Ainsi, trois intrigues sont mises en parallèle tout le long du film: celle du déroulement chronologique de la vie d’Oppenheimer, celle de l’audition des différents acteurs du projet Manhattan dans le cadre de la fuite d’informations vers l’URSS et celle centrée sur Lewis Strauss, homme d’affaire voulant devenir ministre et qui va tenter de “détruire publiquement” Oppenheimer. Si ce choix scénaristique épaissit l'œuvre et amplifie l'enjeu de certaines scènes, il complique parfois sa compréhension, s’ajoutant à une accumulation d’informations et de noms propres qu’on pourra avoir du mal à retenir si on se déconcentre un peu. L'écriture semble correcte, n’oubliant pas les célèbres citations et les pensées intérieures du héros du film.

C’est d’ailleurs l’alternance des points de vue qui fait la force du film: on constate l’écart entre celui des scientifiques euphoriques, des pacifistes, des militaires ou encore des politiques. Oppenheimer lui se retrouve un peu coincé entre tous ces univers et déchiré intérieurement entre eux, faisant de lui un personnage complexe sur lequel Nolan nous laisse trancher.

En conclusion, si Oppenheimer n’est pas forcément le film du siècle comme certains l’ont vendu (coucou Paul Schrader), il n’en reste pas moins un film plus que plaisant à regarder et qui vaut le coup rien tant pour le plaisir de se plonger dans un contexte historique particulier que pour découvrir la vie nuancée d’un scientifique décisif dans l’histoire contemporaine.

Airb
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le 21 juil. 2023

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