On le lira souvent : Oppenheimer est un film bavard. A la source, une problématique classique : comment raconter deux décennies de la vie d’un homme dans un seul long métrage ? La réponse du film n’est pas de tailler dans le superflu, mais d’accumuler les astuces pour caser le plus d’événements clés par minute. Prenez aléatoirement deux minutes du film, et il y a de bonnes chances pour que cela ressemble à une bande-annonce.


Oppenheimer lui-même est le noyau du film et le reste du casting les électrons dont chacun aura un court instant pour apporter une nuance d’opposition, si bien qu’on pourrait s’amuser à les étiqueter dans chaque scène. La dynamique des relations est inexistante, et empêche de donner la moindre profondeur à qui que ce soit d’autre qu’Oppenheimer.


Il y a bien une exception, à savoir la demi-heure autour du premier test de la bombe et des réactions au largage sur le Japon. C’est d’ailleurs le moment où les personnages arrêtent d’essayer de faire avancer l’intrigue, se taisent et regardent se dérouler l’Histoire avec un grand H. Et c’est aussi le seul moment où les effets plus audacieux de mise en scène fonctionnent, le seul moment où ils n’étouffent pas sous une avalanche de répliques.


Au cas où vous vous poseriez la question, sachez qu’on ne parlera pas beaucoup de science dans le film. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Le plus clair du temps d’un théoricien, c’est des heures et heures devant une feuille de papier à explorer des pistes dont une majorité ne mèneront nulle part, et des conversations entre collègues à examiner des détails techniques. Pourquoi, alors, les théoriciens semblent aussi fascinés par leur travail ? Nous ne trouverons dans ces trois heures rien pour le montrer, pour montrer la motivation à l’origine des avancées en sciences fondamentales, y compris les plus grandes : le plaisir intrinsèque de la recherche. Peut-être étais-je à côté de la plaque à attendre de la figure d’Oppenheimer celle d’un vrai scientifique. Si je mentionne ceci, c’est que les quelques références à la physique lors de la première heure peuvent donner l’impression qu’on mettra les mains dans le cambouis, mais les enjeux politiques finissent par écraser le reste.


Car à côté du seul aspect de la science auquel s’intéresse le film (le Prométhée qui livrera aux hommes l’arme ultime), il y a aussi le passé communiste d’Oppenheimer et la perte de son habilitation de sécurité. Mais à force de multiplier les intrigues, les échelles et les enjeux, on est rapidement perdu à essayer d’en tirer quoi que ce soit. Et quelle déception de voir qu’une part importante du temps d’écran est en réalité dédiée à


une vendetta politique personnelle.


Qu’y a-t-il à retenir ? Les films de Nolan ont la réputation de nécessiter plusieurs visionnages pour être saisis. C’était parfois justifié pour un film de SF reposant sur des présupposés qui ne s’éclaireront pleinement qu’une fois la dernière scène passée. Rien de tout cela ici : le film veut seulement trop en dire et finit incapable de faire honneur à l’ampleur de ses sujets et à la profondeur qu’ils méritent.

Prosperoh
6
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le 6 août 2023

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