Agaçant mais plutôt intéressant

Orpheline mise sur une narration inversée pour nourrir un fil romanesque qui le fera vibrer. Semblant d'abord morcelé, le récit se construit au gré d'un scénario à rebrousse temps qui capture quatre instants de vie d'une même héroïne, de 27 ans à 6 ans, là où le personnage semble faire son nid.


La première partie est déceptive. La structure très apparente fait ressortir l'artificialité des scènes clés et cadenasse toute émotion. Miné par une complexité qui en brouille la compréhension, le film peine à séduire. Mais Orpheline ne cherche pas à être aimable. Ce qui sonne comme un défaut devient bientôt une qualité et l'effet poupée russe, le personnage de 27 ans dévoilant celui de 20, puis celui de 13 jusqu'à celui de 6 ans, densifie le maillage et enrichit le portrait d'une héroïne en quête d'amour.


Elle s'appelle Kiki, Karine, Sandra et Renée. Interprétée par quatre actrices différentes, personnage unique mais fractionné comme un portrait cubiste, elle incarne le mouvement et la transformation, la manière dont chaque être avance à différentes périodes de sa vie. Alors qu'elle traverse des moments difficiles, elle n'est jamais montrée comme une victime mais précisément comme une femme qui se construit contre et avec les autres.


L'héroïne donne, se donne littéralement pour exister. Elle vit par le regard et le désir des autres, non pas dans un oubli de soi, mais dans la conscience qu'elle ne peut pas avancer autrement. Chaque personnage dans le personnage est éclairé par celui qui le précède dans le temps, les actes du passé venant résonner au présent comme un secret. Les autres personnages font le lien, le père dans deux épisodes, le premier amant, le second, l'amie intrigante, le mari enfin alors que les morceaux se recollent et que la fuite proposée ne résout rien.


Orpheline agace, désarçonne et intrigue avant de l'emporter dans un dernier segment faisant écho au premier, donnant enfin la pleine mesure du personnage et de celle qui l'interprète. Adèle Haenel est alors en pleine possession de son personnage et vient bouleverser la donne. Mais de toutes celles qui l'interprètent, de la jeune et convaincante Vega Cuzytek à la moins habitée des trois, Adèle Exarchopoulos en clone d'elle-même, c'est Solène Rigot qui s'impose avec le plus de justesse. La comédienne réussit à donner vie à un personnage qui a dix ans de moins qu'elle, jouant les équilibristes, toujours juste, particulièrement bluffante.


Parmi les seconds rôles, si Nicolas Duvauchelle, Sergi López et Jalil Lespert font le boulot, c'est incontestablement Gemma Arterton qui se démarque en intrigante aussi désirable qu'inquiétante.


Si le film ne convainc pas totalement, il n'en demeure pas moins intéressant dans son approche romanesque très formelle allant à l'encontre des formes habituelles d'un mélo social auquel il se rattache tout en s'en démarquant.

pierreAfeu
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2017 • Film par film

Créée

le 4 mars 2017

Critique lue 744 fois

3 j'aime

pierreAfeu

Écrit par

Critique lue 744 fois

3

D'autres avis sur Orpheline

Orpheline
CableHogue
6

Strange Kind of Woman

Placé sous le signe de la sécheresse et de l’ellipse, tout en lumière charbonneuse et minérale, Michael Kohlhaas travaillait l’épure avec une singularité précieuse, même si la beauté plastique...

le 28 mars 2017

17 j'aime

14

Orpheline
LaurieFts
5

Orpheline, entre admiration et déception

Jeudi soir, j’assistais à l’avant-première Sens Critique du film Orpheline, en présence de son réalisateur Arnaud des Pallières et deux des actrices qui incarnent le rôle principal, Adèle Heanel et...

le 27 mars 2017

14 j'aime

4

Orpheline
AnneSchneider
9

Les différents visages d'une même vie

Quatre visages. Quatre âges différents. Quatre actrices pour les incarner. Quatre prénoms, reflets d'une habitude, d'un choix, d'un masque, d'un nouveau départ... Vega Cuzytek en Kiki petite fille,...

le 23 mars 2017

8 j'aime

2

Du même critique

Nocturama
pierreAfeu
4

The bling ring

La première partie est une chorégraphie muette, un ballet de croisements et de trajectoires, d'attentes, de placements. C'est brillant, habilement construit, presque abstrait. Puis les personnages se...

le 7 sept. 2016

51 j'aime

7

L'Inconnu du lac
pierreAfeu
9

Critique de L'Inconnu du lac par pierreAfeu

On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...

le 5 juin 2013

51 j'aime

16

La Crème de la crème
pierreAfeu
1

La gerbe de la gerbe

Le malaise est là dès les premières séquences. Et ce n'est pas parce que tous les personnages sont des connards. Ça, on le savait à l'avance. Des films sur des connards, on en a vus, des moyens, des...

le 14 avr. 2014

41 j'aime

21