[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]


« Le monde a changé. Sauf lui. », c'est ce qu'annonce l'affiche, et je suis d'accord avec cette affirmation. Enfin, sur le fond – mais est-ce que c'est si vendeur que ça ?


Mon souvenir des deux précédents films est malheureusement un peu flou. Le troisième confirme en tout cas que le monde a changé depuis : Hubert Bonnisseur de La Bath (Jean Dujardin) ne sonne plus pareil dans le cinéma d'après #metoo. Le regard de l'industrie du cinéma comme des spectateur·rices a changé, est mieux armé pour et plus habitué à décortiquer les dynamiques de pouvoir à l'œuvre. Est-ce que, comme j'ai entendu un ami le dire après le visionnage, nos sociétés n'ont plus besoin de films comme OSS 117 – de films pour se moquer des racistes mal dégrossis ? Je n'irai pas jusque là, mais l'exercice semble devenu beaucoup plus périlleux. Faire des blagues sur le racisme est beaucoup plus casse-gueule en 2021 qu'en 2006 ou 2009. En tout cas, la recette ne fonctionne plus comme avant, et je trouve qu'on sent tout au long du film que les auteurs jonglent entre la provocation qui caractérise la licence et une nouvelle acception du « politiquement correct ».




Ce troisième tome réussit à être encore plus incisif que les précédents lorsqu'il s'agit de tirer le portrait d'une France conservatrice et raciste, à grands renforts de Casimir, de sucettes à l'anis et de VGE, une France ingérente qui maintient des dictateurs au pouvoir au nom de la démocratie. Là-dessus, son projet politique est clair et je le trouve bien mené. Pour le reste...


En 2021, il me semble qu'un film qui prétend se moquer du sexisme ou du racisme se doit de donner des rôles intéressants et du temps d'écran à des actrices et à des acteur·rices racisé·es. On en est loin ! La distribution visible reste majoritairement blanche et masculine, et les rôles secondaires sont tristement simplistes (voir plus loin).


Autre nouveauté il me semble, on trouve dans Alerte rouge en Afrique noire des contre-discours, des personnages qui défendent un message progressiste contre la vision du monde périmée du personnage principal et du système qu'il incarne. Ce qui fonctionnait (assez bien) sur base de bons mots (« Comment appelez-vous un pays qui a comme président un militaire avec les pleins pouvoirs, une police secrète, une seule chaîne de télévision et dont toute l'information est contrôlée par l'État ? – J'appelle ça la France, mademoiselle ! Et pas n'importe laquelle, la France du général De Gaulle ! ») est désormais mis en discours et argumenté. Ce sont malheureusement les scènes où j'ai regardé ma montre : ça ne fait pas mouche. Ainsi ai-je trouvé la « démonstration » de Zéphyrine (Fatou N'Diaye) du bien-fondé de sa cause révolutionnaire totalement creuse, une juxtaposition d'arguments plats et clichés qui n'en sont pas vraiment. C'est comme si on avait besoin, pour cautionner le reste du film et son protagoniste raciste-misogyne-etc., d'en faire des tartines qui montrent bien qu'on a sait ce qui est bien et ce qui ne l'est pas.
(Climax du malaise en ce qui me concerne lorsque Zéphyrine s'exclame : « Vous vous allez bientôt me dire que vous avez un ami Noir ? ». Pour une révolutionnaire africaine, elle est bien rompue aux conversations ras-des-pâquerettes de la bourgeoisie parisienne...)


Ce qui, à mon sens, est drôle, ce qui en fait constitue le ressort général de l'humour de la série, c'est quand OSS 117 dégaine une carte de l'Afrique où il est écrit « Afrique » en gros. C'est quand lui croit qu'il est juste en Afrique alors qu'il est au Sénégal, ou au Maroc, ou au Rwanda, ou dans un pays africain imaginaire – et alors on peut se moquer de lui, parce que les autres ont une vraie carte, savent s'il est au Tanzanie ou au Soudan du Sud. On se moque du personnage, ou du genre de films jamesbondiens qui sont parodiés. Mais ce contrepoint fait défaut à Alerte rouge en Afrique noire. Tout le monde, même Sangawe Bamba, même Zéphyrine, perpétue cet amalgame, parle de « l'Afrique » et de « l'Africain » : les personnages africains du film sont aussi carton-pâte que de La Bath se les imagine.




J'ai aussi eu la surprise de trouver par ce qui m'a semblé être des faiblesses d'écriture. Est-ce qu'elles étaient présentes dans les opus précédents, mais ne m'ont pas sauté aux yeux à l'époque ? Étaient-elles absentes grâce à l'apport de Michel Hazanavicius (il serait facile de jeter la pierre à Nicolas Bedos, mais le scénariste des trois films reste Jean-François Halin, Hazanavicius étant crédité comme co-scénariste sur Rio ne répond plus) ? La phase d'écriture a-t-elle bénéficié de moins de temps, de moyens, a-t-elle été accaparée par la gestion du « politiquement correct », épuisée à force de marcher sur des œufs ?


Il s'agit en particulier d'effets comiques qui tombent un peu à l'eau, non parce que mal exécutés mais parce que fragilisés dans leur conception même. Ainsi la blague sur la panacée informatique consistant à débrancher et rebrancher aurait-elle été drôle une fois, à l'un ou l'autre des endroits où elle est utilisée, mais est déforcée d'être réemployée, lourdement les deux fois. L'image de la faucille et du marteau, plaquée un peu artificiellement, aurait été plus efficace si elle avait été un gag ponctuant la bagarre qui suit. La fuite/course-poursuite entre OSS 117 et OSS 1001 finit, comme Bonnisseur de La Bath, par s'essouffler, faute d'une variation, d'une surenchère, d'un twist...


Surtout, les personnages secondaires m'ont paru beaucoup trop incohérents. C'est particulièrement le cas des personnages féminins, dont il semble impératif qu'ils couchent tous avec le protagoniste. Micheline (Natacha Lindinger) est chaude comme la braise (trop chaude, ce qui est habituellement dans la série un ressort comique parodiant justement la sexualisation des James Bond girls) puis, dès lors qu'Hubert n'a pas bandé, totalement glaciale : d'abord dans un registre archétypal, on dirait qu'elle devient un personnage à part entière, mais la justification de ce revirement est ténue. Quant à Zéphyrine... C'est un peu le même trajet, en pire : elle est d'abord d'une certaine manière la meilleure adjuvante d'OSS 117, dont elle ne voit pas la bêtise, et est persuadée qu'il faut le garder en vie pour en faire un allié de sa cause ; il fait quelques blagues douteuses qu'elle ne remarque pas et couche avec lui « parce qu'elle est une femme libre et l'a décidé » (heureusement qu'elle le claironne, parce que si on l'envisage non comme un archétype mais comme un personnage avec une subjectivité, on ne voit pas trop pourquoi elle lui sauterait dessus), puis il fait une blague douteuse de plus qui cette fois pique sa susceptibilité et elle retourne sa veste assez radicalement puisqu'elle décide de le faire exécuter...


Enfin, je voudrais revenir sur le personnage d'OSS 1001, dont la fonction n'est pas non plus très claire. Est-il un contrepoint raisonnable du vieillissant 117, comme l'était Larmina (Bérénice Bejo) dans Le Caire, nid d'espions ? Il est moins bête, et joue ce rôle dans plusieurs scènes (notamment sa dernière, celle où il pousse un coup de gueule – sans vraie raison si ce n'est qu'il va se faire croquer par un croco dans la foulée, j'ai ri, ça me fait rire les attaques de crocodile, mais qu'est-ce qu'on le voit venir...) ; par contre il n'est ni moins agaçant, ni moins arrogant, ni dans une masculinité moins toxique que son homologue. Est-ce que leurs « concours de bite », que ce soit de jouer à qui court le plus vite ou plus littéralement se disputer les faveurs de Micheline en fonction de qui bande le plus, sont supposés être drôles ? Oui, j'aurais apprécié que Micheline se détourne d'Hubert en lui jetant à la figure qu'il est un mauvais coup, si c'était pour une alternative convaincante, pas juste pour valider l'image du mec-viril-présomptueux-qui-prend-de-la-place-et-a-un-gros-zizi (fantasme finalement bien masculin...).




Bref, je mets 5 étoiles parce que je n'ai pas passé un mauvais moment, Jean Dujardin est drôle et charismatique, j'ai beaucoup ri des multiples allusions à Casimir (surtout la scène avec le serpent !). Je ne considère pas que le film est réussi, loin de là, mais ses défauts révèlent les rides d'une certaine manière de raconter au cinéma dans un monde plus attentif aux discriminations. Je veux bien espérer que la promesse finale pourra être tenue – « OSS 117 sera toujours là, lui » –, mais qu'il saura se renouveler et retrouver son incisivité.

Rometach
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le 1 août 2021

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