On pourra s’interroger sur le curieux titre du film, ressemblant à un mauvais « Où est Charlie » ; Où est Anne Frank, le nouveau film d’animation d’Ari Folman (Valse avec Bachir, 2008) n’a pourtant rien d’un jeu de cache-cache humoristique. Visant aussi bien le jeune spectateur que leurs parents, dénonçant l’instrumentalisation du Journal d’Anne Frank, le réalisateur israélien s’attache, dit-il, à réhabiliter le message originel de la jeune martyre. Au risque de s’y perdre lui-même ?


Amsterdam, de nos jours. Des migrants sont raflés par la police locale devant le Musée Anne Frank, sous les yeux de badauds indifférents. Dans la maison d’Anne devenu mausolée, la plume d’Anne saigne, comme son message lui-même semble se muséïfier. Anne avait une amie imaginaire, Kitty, à qui elle confiait ses pensées intimes. Par un aller-retour magique entre la captivité d’Anne et notre monde contemporain, Kitty va chercher à conjuguer au présent le message de la jeune écrivaine.



Hello Kitty



D’emblée, Anne et Kitty forment un duo extrêmement attachant et émouvant – beaucoup plus émouvant que Jojo Rabbit et son ami imaginaire Adolf Hitler, par exemple. Esthétiquement, Où est Anne Frank est une franche réussite avec son animation dynamique et colorée, ainsi que son atmosphère alternant joies et peines, jamais plombante malgré la dureté du sujet. La bande originale électro est au diapason, délivrant une partition de bon goût.


La tâche n’est pas aisé pour Folman : filmer la Shoah au cinéma reste toujours un tabou indépassable, un impensé que la caméra – fusse-t-elle d’animation – ne peut jamais pleinement saisir. De surcroit à l’intention du jeune public : montrer Anne Frank au camp de concentration est impossible frontalement. Alors le réalisateur utilise judicieusement l’allégorie, comme dans cette scène pastichant la charge du Rohan au gouffre de Helm du Seigneur des Anneaux dans laquelle Anne, accompagnée de la communauté de ses idoles, pourfend les nazis telle une Gandalf féminine que l’on souhaiterait tellement victorieuse. On tient ici le meilleur moment du film, qu’on aimerait alors voir durer.



Au revoir les enfants



Hélas, Ari Folman malgré toutes ses bonnes et sincères intentions, ne fait pas preuve de la même subtilité lorsqu’il s’agit du reste du film. Que Où est Anne Frank ait tendance à mépriser notre société contemporaine, dépeignant des visiteurs du Musée Anne Frank aussi indifférents que s’ils étaient à Disneyland, soit ; on se dit qu’il y a sûrement du vrai. Mais quand Folman commence à comparer le quotidien des migrants aux rafles des juifs, la police hollandaise à la gestapo, il est difficile ne pas trouver son parallèle au mieux forcé, au pire opportuniste et quelque peu indécent.


C’est de plus, narrativement inefficace : alors que le sort d’Anne reste le plus souvent hors champ et l’antisémitisme moderne curieusement escamoté, en comparaison, les destins de Kitty et des migrants manquent de tension dramaturgique et d’intérêt. Il ne s’agit pas de minorer le drame de ces populations fuyant la guerre dans leur pays pour trouver refuge en Europe. Mais cette compétition des malheurs ne sert aucune des deux causes, et brouille finalement le message du film. De ce brouillard scénaristique, surgit hélas l’ennui.


Ari Folman reconnaissait avoir remanié son scénario suite à la crise des migrants, pour trouver une résonance entre passé et présent. Si on peut comprendre l’intention – « Depuis toujours, les gens prennent les minorités pour responsables de leurs malheurs » annonce le film – l’exécution laisse songeur. Certes, Où est Anne Frank se veut universel et pour tous les âges, et délivre pour cela un message œcuménique. Mais alors que Folman dénonçait, à raison, la falsification de l’histoire d’Anne Franck, ne l’a-t-il pas lui aussi détournée ?

Kieros
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le 4 déc. 2021

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