« Parasite » semble promettre un grand moment de cinéma et il ne déçoit nullement tant le film dépasse le simple clivage riche/pauvre pour livrer un portrait glaçant d’une société piétinée par l’individualisme. Fidèle à son style virtuose, son mélange des genres et sa palette d’émotions, Bong Joon-Ho livre autant une comédie sociale cinglante qu’un thriller noir en passant par l’horreur grotesque. Chaque situation, chaque personnage trouve un sens contraire, une contradiction et une complexité bien plus probantes au fur et à mesure qu’avance le récit. Le film multiplie les pistes scénaristiques et les portraits de personnages improbables tout en évitant le jugement.
C’est autant la morale du spectateur que sa capacité à juger qui fait de « Parasite » une œuvre jouant sans cesse avec l’ambiguïté. Le titre en lui-même, Parasite, peut prendre plusieurs sens sans jamais se livrer réellement. La mise en scène, inventive, jouant à merveille avec l’environnement des personnages, prend souvent une posture verticale : quand on est chez les gens pauvres, on descend, quand on est chez les gens riches, on monte. Une charge symbolique qui pourrait sembler lourde si le film ne prenait pas en compte les conséquences des personnages. Qui sont vraiment les méchants dans cette histoire ? Au spectateur de juger encore une fois, mais le réalisateur sud-coréen n’hésite pas à pointer du doigt l’égoïsme, l’arrivisme, le manque de réalité ou l’aveuglement des populations.
Même s’il réalise un quasi huis-clos, Bong Joon-Ho enchaîne les surprises, les morceaux de bravoure et les scènes clefs qui peuvent tout faire basculer à tout moment. Comme si avant les actes, il y a avait un dérèglement psychologique, une rupture avec la raison. L’Homme est-il devenu fou dans sa quête de matérialisme. Confond-il bonheur avec confort ? L’un ne va-t-il pas sans l’autre ? Sans jamais se perdre ou se disperser, « Parasite » raconte la destruction de familles qui semblent avoir perdu leur humanité. La violence et l’humour n’empêchent pas la tragédie, celle des individus sans foyer ni pays. Entre action et réflexion constante, le film ébranle, émeut et fascine.
La richesse de « Parasite » est difficile à retranscrire tant son visionnage a quelque chose de sensoriel et philosophique. Il vaut mieux également en savoir le moins possible avant de le regarder pour la première fois. Certes, j’aurais pu écrire cela au début de ma critique mais qu’importe, il fait partie de ses films dont vous ne pouvez pas avoir une idée précise avant le visionnage. En recevant sa palme d’or, Bong Joon-Ho avait tenu à remercier deux réalisateurs français : Claude Chabrol et Henri-Georges Clouzot. « Parasite » s’inscrit clairement dans la veine cynique, noire, tordue et parfois virevoltante de ces deux grands noms.
« Parasite » est une palme d’or amplement méritée, une des meilleures de la décennie avec « Tree of Life » de Terence Malick en 2011 et « Une affaire de famille » de Hirokazu Kore-eda l’an passé. C’est le couronnement de l’un des plus grands réalisateurs de notre temps mais également celui de la Corée du sud qui n’a cessé de livrer des films marquants depuis les années 2000. Un film riche, scotchant, haletant, drôle et parfois bouleversant, il mérite plusieurs visions pour dévoiler tous ses secrets. Une vraie expérience cinématographique à vivre en salles.