Il y des bons films, des mauvais films et des films qui attirent l'œil et suscitent l'intérêt. Celui-ci est dans la troisième catégorie. Il fait la différence, dans un monde cinématographique offrant trop de comédies paresseuses. Et rien que pour ça, il faut aller voir Abel et Gordon !
Voici un cinéma complice, jouant sur l'inversion des situations et l'éloignement des êtres. New York est à Paris, un clochard dépense sans compter, le chien dort dans une tente, une amitié se noue dans un incinérateur et l'amour naît d'une embrouille... Cherchez bien, vous trouverez mille exemples ! C'est Paris, superbement mis en scène, qui est ici pris à contre-pieds d'une réalité moins gaie et qu'on se doit d'oublier.
Partant d'un postulat hautement burlesque (un clochard tombe amoureux d'une jeune fille), le film s'amuse avec ces situations du quotidien qui, dans un monde normal, tourneraient au drame. Il en nait un peu de magie, de poésie et de la danse aussi ! Car si les esprits se perdent en maladresses, les corps, eux, répondent présents et déploient d'improbables mouvements pour se sortir du pétrin.
Le film progresse, avec une tranquillité acharnée, et toujours dans l'espoir du meilleur. On se croise, on se retrouve, on se cherche et on se quitte, toujours par hasard ! Le chaos est permanent mais grâce à un montage malin qui fait lui aussi un joli pas de danse, on revient sur ses pas pour une nouvelle passe d'armes ! Et, malgré les chutes, les quiproquos et les échecs, le dénouement arrive, provoquant avec lui une saine et tranquille contemplation.
La filiation avec Pierre Etaix, Jacques Tati, les Deschiens est évidente. Pierre Richard non plus n'est pas loin.... Ça tombe bien, le cinéma crève de ne pas avoir d'héritiers dans le genre du burlesque ! Mais Abel et Gordon ont trouvé un style à part entière, prenant soin d’apporter leur pierre à l’édifice. Ils le disent et ils ont raison. Ils composent une partition qui est la leur. Il faut encore qu'ils la peaufinent, qu'ils aiguisent leur propos et leurs intentions, et surtout qu'ils tiennent le rythme. Un peu à l'image des personnages perdus de leur film. Mais diable que c'est bon de voir de véritables artistes à l'œuvre !